samedi 21 avril 2018

Rendez-vous ancestral : Un jour d'été à Rivel


J'ai découvert il y a quelque temps le RDVAncestral, un exercice mêlant écriture et généalogie, qui consiste à remonter le temps pour rencontrer ses ancêtres. Je viens tout juste de lire que l'un de ces rendez-vous a lieu aujourd'hui. Un peu pris au dépourvu, je décide tout de même de m'y lancer. C'est la première fois que j'y participe. Après tout, l'écriture me passionne autant que la généalogie et en ce samedi ensoleillé, l'inspiration ne me manque pas. Je vais ainsi remonter les années pour rencontrer, le samedi 8 juillet 1905, la grand-mère de mon grand-père maternel, Louise Faure, et sa famille, domiciliées à Rivel, charmant village caché au milieu des collines du sud-ouest de l'Aude...


Dong... Dong... ! L'écho des cloches se fait joyeusement entendre dans les rues fleuries de Rivel. Cette douce mélodie semble bercer le village, entouré de part et d'autre de collines. D'un côté, l'Ariège et ses sombres immensités forestières que dominent majestueusement les Pyrénées. De l'autre, les paysages méditerranéens de l'Aude et des Pyrénées-Orientales. J'ai comme une impression d'Italie. Le ciel est d'un bleu éclatant, splendide. Il fait déjà bien chaud en cette joyeuse matinée estivale. Des habitants reviennent au loin du marché, les bras chargés de fruits, de légumes et de viande. Les grands-mères tiennent les mains de leurs petits-enfants, les adultes rient et avancent gaiement. Deux jeunes femmes, la trentaine tout au plus, s'approchent et s'assoient sur les rebords de la fontaine derrière moi, sèche en cette saison. L'une d'elle est blonde, son air m'est familier. Vêtue d'un haut blanc et d'une robe foncée serrée à la taille, elle parle en un patois compréhensible avec l'autre femme. J'écoute discrètement, sans me retourner, faisant mine d'attendre quelqu'un. 

-Boudu, qu'il fait chaud, et surtout avec toutes ces bonnes choses que nous avons ramenées du marché !
-Et pardi ! C'est qu'il en faut, de la nourriture, pour satisfaire toute cette famille ! 
-Hé... Tu ne crois pas si bien dire ! Tu seras gentille de m'apporter quelques assiettes et couverts en plus.
-Ne t'en fais pas ma chère ! Et qui vient alors ?
-Oh, vois-tu, nous serons davantage encore que le mois dernier !
-Les cousins de Sète ?
-Oui, et ceux de Puivert, de Bélesta et de quelques coins de Provence de ce que dit Jean-Pierre.
-Eh bé ! ça en fait ! Vas-y, Louise, je te rejoins avant midi. Je t'apporte les assiettes, ne t'en fais pas !
-Merci Cécile ! lui répond Louise, d'une tape amicale sur l'épaule.


Une fontaine à Rivel


Louise, Cécile... ! Mais bien sûr ! Ce ne peut être que Louise Faure, la grand-mère de mon grand-père, et sa belle-soeur Cécile, l'épouse de son frère Jean-Pierre. Alors que Cécile s'éloigne vers une ruelle, Louise tente tant bien que mal de reprendre toutes ses commissions. Je réalise alors qu'elle doit rapporter tout cela chez elle, aux Marais, la ferme perchée sur la colline, à gauche, après l'église Sainte-Cécile ! Voulant l'aider, je m'approche d'elle, le sourire timide. Elle se retourne brusquement et s'exclame, d'un accent très prononcé :

-Oh ! Que vous m'avez fait peur !
Elle m'observe ensuite quelques secondes, de haut en bas, l'air perplexe :
-Mais vous n'êtes pas d'ici, vous ?
-Non... Enfin si ! Ce n'est pas très simple en fait... ! lui répondis-je en insistant bien sur l'accent.
-Ah, mais vous avez un peu le parler d'ici.
Elle me fixe alors, fronce quelque peu les sourcils, dubitative. 
-Ah, mais vous êtes un cousin de Sète peut-être ?
-Euh oui. C'est cela.
-Je savais bien que je vous avais déjà vu quelque part ! me lança-t-elle, d'un sourire amusé.
-Cela fait longtemps que je ne suis pas venu ici !
-Ah, vous vous êtes perdus. Venez, aidez-moi à porter ça jusqu'à Loustet, en haut, là-bas, après Sainte Cécile !

Nous partons alors vers l'église. La pente est raide, j'ai les bras chargés de pain, de poissons et de desserts principalement. Le reste, fruits, légumes et viandes, sont sans doute issus de la ferme. J'en déduis que comme la tradition le veut dans cette famille, un repas réunissant tous les cousins aux Marais - ou à Loustet, comme le dit Louise - a lieu en ce samedi estival. Mon arrière grand-mère, Marie-Vincentine, la fille de Louise, a perpétué la tradition jusque dans les années 60. Ma mère s'en souvient d'ailleurs.

L'église Sainte-Cécile de Rivel

Le soleil était d'une chaleur plus qu'agréable ! Alors que nous arrivons à hauteur de l'église, Louise s'arrête et me dit :
-Teh, voyez-vous, je vais vous raconter quelque chose. La mère de mon père s'appelait Louise. Louise Huillet. Je ne l'ai pas connue mais je porte son prénom. J'ai entendu dire qu'elle a vécu à Rivel toute sa vie, il y a longtemps déjà. Elle repose dans ce cimetière. A chaque fois que je passe ici, je pense à elle.
-Quelle belle histoire ! lui répondis-je, émerveillé à l'entendre raconter ses souvenirs.
-On va passer prendre quelques plantes qu'il me faut. C'est sur le chemin, pas de détours eh, on ne sait jamais, il y a quelques fadas par ici ! 
Je la suivais, épaté. Voyant ma joie, Louise se mit à me tutoyer :
-Puisque tu es de la famille, je vais te dire tu.
-Avec plaisir ! lui dis-je en souriant.
-Vois-tu, Rose, ma mère, et Jeanne, sa mère, mon autre grand-mère, m'ont appris tout ce qu'elles savaient sur les plantes. C'est quelque chose qui s'enseigne à chaque génération !

Le chemin après l'église Sainte-Cécile
Après une bonne heure de marche, nous arrivons à Loustet. Il fait très chaud, il est presque midi. Je découvre l'endroit où vivent Louise et sa famille. Mon grand-père y est né en 1930. Ce lieu semble idyllique et fort ancien, comme s'il n'avait pas changé depuis des siècles. Il y a des arbres et des fleurs partout. Là-bas, une vieille grange où sont rangés les pelles, les râteaux, la paille... Et en face, une maison en pierre, chaleureuse et couverte de végétation quoique légèrement délabrée, se dresse devant moi. Cette construction semble exister depuis deux millénaires. C'est en tout cas mon impression. Je vois un jardin heureux, plus loin, un mur très ancien, qui s'écroule, et une vue magnifique sur tout le coin. Une fillette toute joyeuse, suivie d'une dame plus âgée et souriante, arrive et s'écrit :

-Mère, mère ! J'ai ramassé des fleurs avec grand-mère ! s'écrit une jeune fille de quatre ans à peine, qui est Marie-Vincentine, mon arrière-grand-mère.
-Marie s'est bien amusée ! Nous sommes descendues tôt jusqu'au lavoir et en remontant, nous avons fait quelques bouquets. Nous les offrirons aux cousins. dit d'un ton chaleureux une dame assez âgée, qui est sans doute Rose, la mère de Louise.
Puis elle me regarda, intriguée, et me demanda :
-Jeune homme, quel bon vent vous emmène ici ?
Louise répondit à ma place :
-C'est un cousin de Sète, mère. Cela fait longtemps qu'il n'est pas venu ici. Il s'était perdu quand je l'ai trouvé et m'a aidé à rapporter la nourriture pour le repas.
Rose me regarda d'un air suspect et appela son fils :
-Jeannot ! Viens-voir !
-Un jeune homme, blond aussi, qui me rappela mon grand-père, sortit par la très vieille porte surmontée de végétation.
-Que se passe-t-il, mère ?
-Louise a rencontré ce jeune homme qui dit être un cousin de Sète ou de Provence. C'est vrai qu'il a un air familier. Toi qui y vas souvent, qu'en penses-tu ?
Il me regarda, perplexe.
-Je ne sais que dire. Ce doit être lui... Tante Pétronille est à l'intérieur, je vais le lui demander, elle qui vit à Sète depuis des lunes, elle devrait le savoir.


Fleurs et arbustes au Marais / à Loustet

Je comprends qu'il est alors temps de m'éclipser. Je ne voudrais pas que ma venue perturbe davantage une journée qui s'annonce si joyeuse pour cette famille. 
-Je vous prie de m'excuser, mais je crois avoir oublié ma montre au bord de la fontaine. Je vais devoir aller la chercher, mais avant, j'aimerais vous photographier.
-Vous m'espantez, ça alors ! s'écria Rose avant d'ajouter :
-Un cousin de Sète qu'on ne connaît pas, et qui est photographe en plus !
Je sortis un vieil appareil photo de l'époque que je garde dans ma chambre. Joyeux à l'idée d'être photographiés, tous trois sourirent. Cette rencontre était immortalisée.
-Venez, venez, les cousins ont ramené des gâteaux ! s'écria au loin Marie-Vincentine.
Ils me laissèrent un instant. Il était temps de repartir. J'écrivis ces quelques mots sur un bout de papier, le calant à l'entrée de la maison avec un galet.

Merci et bonne journée
de la part de votre parent
qui a dû vite repartir.

Puis je partis discrètement, laissant Louise et sa famille profiter de cette belle journée. Peut-être sont-ils longtemps restés intrigués par cette venue soudaine, en cet ensoleillé samedi...



Rose Naudy et ses enfants Jean-Pierre et Louise Faure devant leur maison - Fin XIXe - début XXe

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