vendredi 7 septembre 2018

De quels maux souffraient nos ancêtres au quotidien ?

L'article consacré à l'exploration des archives religieuses et de récentes lectures de la presse ancienne m'ont conduit à approfondir un élément essentiel pour mieux cerner la vie de nos ancêtres, à savoir la santé. Si les archives religieuses nous ont précédemment apporté quelques réponses quant aux éventuels maux dont trépassaient les anciens, le sujet reste pour autant vaste, flou et, à mes yeux, presque inexploré. Quelles ont été les éventuelles causes de décès de mes ancêtres, de leurs proches et de leurs voisins ? De quels maux souffraient-ils au quotidien ?

Cela devient une habitude maintenant, j'ai quelque peu surchargé mon planning de publication sur ce journal, à tel point que je me suis lassé de la généalogie ces dernières semaines, et que je n'ai finalement rien publié. Et pourtant, les sujets ne manquaient pas : entre le troisième épisode de la chronique chalabroise, les familles Cordier de la Houssaye et de Fiennes de la Planche que je voulais vous présenter après en avoir brièvement parlé au printemps, et les péripéties de lointains oncles maternels installés il y a deux siècles dans plusieurs villes d'Algérie, les sources d'inspiration étaient diverses et variées pour cet été. Malheureusement, ma plume semble avoir pris quelques congés. Peut-être l'ai-je oubliée en Andalousie ? Alors que l'écriture est, d'ordinaire, quelque chose venant de manière assez naturelle chez moi, je n'ai pas réussi à sortir la moindre ligne de tout le mois d'août, à l'exception de quelques pages désordonnées qui préfigurent une nouvelle rubrique, dont je vous parlerai plus tard. Et c'est bizarrement à cinq semaines de la rentrée - oui, c'est bel et bien la première fois de ma vie scolaire que je reprends les études en octobre... une absurdité... -, que ma plume semble revenir. Comme si un quelconque vent pré-automnal la ramenait peu à peu vers moi... Généalogiquement parlant, je n'ai pourtant pas chômé et de nouvelles découvertes parfois surprenantes ont eu lieu - elles restent à éclaircir et à approfondir -. La lecture de la presse ancienne, de ses vieilles pages fragiles, jaunies par le temps et qui par milliers témoignent d'un passé aujourd'hui quasi-oublié, m'a permis de cerner quelques possibles aspects de la vie quotidienne de mes ancêtres au XIXe siècle, plus particulièrement de ceux ayant vécu entre 1850 et 1900. J'en suis dès lors venu à me poser cette brève question, à laquelle il est pourtant aussi hasardeux qu'ardu de répondre : De quels maux souffraient mes ancêtres ? Et si tant est qu'ils puissent être déterminés, ce qui en soi n'est déjà pas simple, peut-on les généraliser à l'ensemble de la population de l'époque ?

Descendance de Modeste Trevet et de Juliette Troche sur deux générations - Recherches personnelles et archives familiales
Dans un premier temps, j'ai décidé, si vous me passez l'expression, de commencer par la facilité, d'emprunter la piste la plus avenante, celle où les indices tombent comme les feuilles d'un arbre le font au cours de l'automne. Des indices que je me suis empressé de recueillir. Cette piste est celle d'un certain Jules Mari, neveu par sa mère d'Alfred Trevet qui est le grand-père maternel de Robert Lehoux, mon arrière-grand-père. Autrement dit, Jules Mari est le cousin de Valentine Trevet, mon arrière-arrière grand-mère. Tous deux ont pour grand-mère Juliette Troche, dont les ancêtres ont été au centre de la précédente chronique. Les liens de parenté sont toujours aussi simples à expliquer... Jules Mari est né en novembre 1878, la même année que son cousin Lucien Trevet. J'ignore d'ailleurs si Valentine et Lucien l'ont connu dans leur enfance même si cela est fort probable. Jules Mari est à ma connaissance le seul fils de Jules Mari - homonymie, quand tu nous tiens ! - fabricant de carrosses, et de Zoé Trevet, soeur cadette d'Alfred et dernière des cinq enfants de Modeste Trevet et de Juliette Troche. Bien que n'ayant aucune preuve concrète, je pense ne pas me tromper en supposant que l'enfance de Jules Mari a été similaire à celle de ses cousins, matériellement gâtés. En somme, des conditions de vie qui pour l'époque étaient plus que correctes. Et c'est pourtant bien le 2 juillet 1899 à Rouen que j'ai la triste surprise de constater le décès de Jules Mari, âgé d'à peine vingt-et-un ans. Si un mal passager a pu l'emporter, je ne peux m'empêcher d'entrevoir là une éventuelle maladie de longue durée, peut-être depuis sa naissance. Est-il possible d'en apprendre davantage ?

Extrait du matricule militaire de Jules Mari - Rouen nord - 1898 - 1R3051 - Archives de la Seine-Maritime
Par chance, les matricules militaires fournissent quelquefois des renseignements précis, inattendus, parfois même inespérés, jusqu'à répondre partiellement à une question. Jules Mari a ainsi été exempté, à peine quelques mois avant son décès, de service militaire sur décision du Conseil. Et ce pour cause d'affection cardiaque. Ces décisions étaient en règle générale plus qu'objectives. La gravité de ses problèmes cardiaques devait être suffisamment importante pour empêcher Jules Mari d'effectuer correctement son service militaire. Pour l'anecdote, j'ai en premier lieu retrouvé la trace de son décès dans les tables décennales de l'état-civil de Rouen puis une mention rajoutée dans le matricule militaire m'a confirmé la date en question. Or, il m'a été impossible de consulter l'acte de décès en raison d'un possible manque dans les archives numérisées de la ville de Rouen pour l'année 1899 - je ne trouve aucun registre de décès pour la période allant du 22 février au 22 novembre - à moins qu'il ne s'agisse d'une étourderie de ma part. Au passage, cette situation prouve tout de même qu'il est possible de vérifier une date retrouvée dans les tables décennales sans pour autant avoir accès à l'acte recherché. Mais revenons-en à notre préoccupation initiale : ce pauvre Jules Mari souffrait de problèmes cardiaques à un âge relativement jeune. Le terme "affection" me paraissant aussi général que peu significatif, je décide de consulter les ouvrages de la merveilleuse Gallica - à laquelle, et pour une raison que j'ignore, je n'arrivais plus à accéder ces derniers jours - afin d'en savoir davantage et de pouvoir mettre une définition derrière cette maladie. La complexité du jargon médical ne m'a certainement pas aidé, et peu de résultats m'ont semblé concluants si ce n'est l'ouvrage intitulé Hygiène des maladies du coeur, écrit en 1899 par le Docteur Vaquez. En voici un extrait : " Si ces accidents ne sont pas exceptionnels chez les sujets indemnes de toute lésion cardiaque, combien seront-ils plus fréquents et plus graves chez les sujets atteints d'une affection valvulaire chronique, d'une altération quelconque du myocarde, en un mot d'une tare cardiaque qui favoriserait l'éclosion des accidents et en double les effets." Si déterminer de manière précise la nature de l'affection dont était atteint Jules Mari semble improbable, il est cependant tout à fait possible qu'il s'agisse de l'une des "tares" évoquées dans le précédent extrait.

Lien de parenté entre Alexandrine et Narcisse Le Breton - Recherches personnelles et archives familiales
Intéressons-nous brièvement à la famille d'Alexandrine Le Breton, grand-mère maternelle de mon arrière-grand-père Robert Lehoux, et plus précisément à l'un de ses cousins. Narcisse Le Breton, fils ainé de Marcel Le Breton, l'un des nombreux oncles et tantes d'Alexandrine, meurt au cours de l'automne 1865. En plus de m'apprendre que Narcisse est mort en Amérique Latine à l'âge vingt-cinq ans, ce qui en soi n'est déjà pas commun, l'acte indique pour une fois la cause du décès. Le jeune homme a succombé à une congestion cérébrale, autrement dit à un AVC. Je ne souhaite pour l'instant pas en dévoiler davantage à propos de ce Narcisse sur lequel je n'ai pas encore réellement enquêté. Voyons-voir si par chance d'autres ancêtres ne nous auraient pas laissé quelques indices quant aux circonstances de leurs décès ou même aux maladies dont ils auraient pu souffrir...

Mariage d'Octave Maxime Levêque et de Marie-Anne Aimée Clémence Flamant - 1863 - Archives de l'Aisne
A la fin de l'année 1863 est célébré le mariage entre Octave Maxime Levêque et Marie-Anne Flamant, aïeuls maternels de ma grand-père paternelle. L'acte indiquant leur union, ou plutôt les signatures apposées au bas de ce document, m'ont mené à un questionnement certainement peu commun. Lors de l'observation attentive des dernières lignes de cet acte, un détail presque anodin retient cette fois - alors que ce n'est pas le cas d'ordinaire - mon attention. Le troisième chapitre intitulé "Jeux de signatures" de la chronique consacrée la famille Troche, nous a montré l'importance des signatures, qui représentent à mes yeux de véritables mines d'or dispersées aux quatre coins des poussiéreux registres. Dans le cas présent, il est écrit que toutes les personnes présentes ont signé. Toutes, à l'exception de Marie-Florentine Roger et d'Anne-Catherine Mélin, mères des époux. Or, les femmes de cette famille ont en règle générale une instruction similaire et parfois même supérieure à celle de leurs époux. Une question se met alors à tourner peu à peu en boucle dans mon esprit : pourquoi n'ont-elles pas signé et pour quelles raisons ne savent-elles pas écrire leur nom ? Si la réponse la plus évidente semble être le manque ou l'absence d'instruction scolaire, je décide tout de même de chercher plus loin...

Recensement et liste nominative de la population - 1876 - Archives de l'Aisne 
Quelques jours plus tard, à force de farfouiner dans les moindres recoins des quelques archives accessibles en ligne, je tombe enfin sur un élément concluant, tout aussi digne d'intérêt qu'inattendu. Une nouvelle fois, les recensements de population et autres diverses listes, ou plutôt les anecdotes qui y sont parfois inscrites, vont me permettre de découvrir de précieux renseignements sur l'état de santé de deux de mes ancêtres. Treize ans ont passé depuis le précédent mariage. Anne-Catherine Mélin et son époux Louis Antoine Flamant, tous deux mes quinquisaïeuls - ce mot signifierait arrière-arrière-arrière-arrière-grands-parents - sont alors âgés de soixante-sept ans et n'exercent pas de profession particulière si ce n'est qu'ils sont propriétaires et vivent près de leur gendre. Pour autant, leur vie quotidienne me semble, à la lecture des trois mots de la dernière case, plutôt compliquée. Anne-Catherine Mélin, borgne, est presque aveugle. Son époux, infirme des deux jambes. S'il semble certain que Louis Antoine Flamant, qui pouvait se déplacer pour le mariage de sa fille, a vu sa santé se dégrader au fil de l'âge, il se peut que sa femme ait eu dès sa jeunesse des problèmes de vision, bien que le contraire ne soit évidemment pas inenvisageable. En somme, j'ignore si la mauvaise vue d'Anne-Catherine Mélin l'a empêchée de signer au mariage de sa fille en 1863 ou si sa santé oculaire s'est dégradée dans la décennie qui suivit. Cette double-découverte surprise montre tout de même l'utilité d'une observation des signatures et, en quelque sorte, d'une piste certes particulière à l'origine mais, par chance, plus que fructueuse. Généalogie rime souvent avec surprise !

Un aveugle - Estampe - Abraham Bosse (1602-1676) - Provient de la BNF (Gallica) - LIEN
Finissons avec cette belle estampe provenant d'un recoin perdu le la BNF - cette bibliothèque est une véritable merveille - dont voici la transcription de la légende : "Faut-il pas avouer que je suis bien à plaindre, Et que dans les dangers qui m'obligent à craindre, Puisque j'ai ce malheur de vivre sans voir rien, Ma conduite dépend d'un bâton et d'un chien". Un document tout aussi émouvant que réaliste, et dont je n'aurais pas imaginé l'existence au XVIIe siècle. Anne-Catherine Mélin avait-elle également un chien pour l'épauler ? Et surtout, était-elle aveugle de naissance ? Une question qui restera a fortiori sans réponse, le temps étant passé par là. Au début de cet article, je m'interrogeais à propos de la nature même et de la validité des quelques exemples présentés ici. Jules Mari a succombé à une malformation cardiaque dont il souffrait a priori depuis sa naissance. Narcisse Le Breton, quant à lui, a été victime d'une congestion cérébrale alors qu'il se trouvait au Mexique. Le couple Flamant-Mélin, atteint d'infirmités certes moins graves, a sans doute vécu un quotidien pénible. J'ai la conviction que ces cas peuvent être probablement étendus à la société française de la seconde moitié du XIXe siècle. D'ailleurs, au moins deux des voisins de mes quinquisaïeuls Flamant-Mélin souffraient de maux similaires.

J'en profite pour vous parler brièvement des pages existantes sur ce journal. J'ai poursuivi, laborieusement, le relevé des anecdotes des recensements - ces mêmes anecdotes qui permettent d'en apprendre autant sur nos ancêtres et leur santé - certes partiel et long à réaliser mais fort instructif. Le premier relevé concerne une quinzaine de familles carcassonnaises du milieu du XIXe siècle. Si vous souhaitez découvrir d'autres enquêtes et chroniques en lien avec cet article, je vous invite à lire :
  •  Jeux de signatures : troisième épisode de la chronique consacrée à la famille Troche, au cours duquel j'ai retrouvé mes ancêtres grâce à leurs signatures, à Dieppe, au XVIIIe siècle ;
  •  Carcassonne, 1851 : début de l'enquête à partir des recensements et du projet des relevés, complémentaire avec cet article ;
  •  Archives religieuses : exploration des archives religieuses pour mieux cerner les maux dont trépassaient les anciens.
En ce qui concerne ce blog, même s'il m'arrive d'espacer les publications à certains moments, faute de temps ou d'inspiration, je compte bien évidemment le continuer. J'aimerais prendre le temps de participer au RDV ancestral, exercice que j'affectionne, et j'espère que la rentrée tardive me le permettra cette fois. L'été qui vient de s'achever a été l'occasion de revenir en Andalousie et de davantage découvrir cette région magnifique, poétique, historique et fascinante. Je vous laisse avec quelques photos de ce joli voyage... A bientôt !


Andalucía 2018 - Photographies personnelles ©

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