mercredi 24 avril 2019

D'Éléonore Devimeux aux comtes de Boury, trajectoires et tragédies d'une famille... Chapitre I


Premier chapitre, 1790 : La demoiselle Devimeux, Tenet de Laubadère et la Révolution...


Ces derniers temps, après avoir longuement passé en revue les généalogies des diverses branches de mon arbre et plus particulièrement celles, de mieux en mieux connues, qui concernent l'ascendance de mon grand-père paternel, j'en suis venu à m'interroger sur la notion de descendance, sur les trajectoires d'une famille et sur la transmission de l'histoire de ses membres au fil des générations. Mais plus encore, c'est la continuité même d'une famille, d'une descendance, qui m'a poussé à l'écriture de cet article. L'autre jour, j'annotais dans l'un de mes innombrables cahiers - c'est mon côté vieillot, j'affectionne peu le virtuel, j'entasse compulsivement les carnets de toutes sortes... - plusieurs pages retraçant des recherches menées sur l'histoire d'une famille par cette seule et triste phrase : "Il n'y aucun descendant de ce côté là, la lignée s'est éteinte." La famille en question est celle des Devimeux - quelquefois nommés de Vimeux -, dont descend entre autres Gabrielle Jeanne Pétronille Le Danois (1898-1995), grand-mère paternelle de mon père , et qui avait deux fois comme ancêtre maternelle Suzanne Antoinette Devimeux (1764-1842), épouse Messiaen. Cette famille est l'une des plus paradoxales de mon ascendance : les traces qu'elle a laissées sont fort nombreuses et précises ; pour autant, il m'est assez difficile d'en reconstituer la structure entière. Aussi, l'enquête qui suit ne portera que sur l'une de ses branches, celle d'Éléonore Devimeux. Précisons tout de même que cette Éléonore est la nièce de l'un de mes ancêtres, et que les deux descendent de Jean-François Devimeux (1669-1750), directeur du bureau des carrosses de Paris. Ces recherches m'ont permis de découvrir des renseignements insoupçonnés. Mais plus encore, la trajectoire au tragique dénouement des descendants d'Éléonore Devimeux m'a ému. Découvrons-en ensemble le premier chapitre...

Mariage de Germain Félix Tenet de Laubadère et d'Eléonore Devimeux - 1790 - Calais, Notre-Dame- Archives du Pas-de-Calais - LIEN
Novembre 1790. Alors que la France plonge dans une époque troublée, une toute autre affaire semble préoccuper Jean-François Devimeux, à savoir le mariage de son unique fille* Éléonore, âgée d'à peine vingt ans. La cérémonie a lieu au début du mois, à l'approche de l'hiver et plutôt en grande pompe : les Devimeux, qui sont plus ou moins roturiers, s'apprêtent à marier leur fille à Germain Félix Tenet de Laubadère, issu de la noblesse gersoise et de vingt-et-un ans son ainé. Quoique la lecture de l'acte ne soit pas selon moi très agréable en raison des larges boucles de certaines lettres, les renseignements qui y sont fournis ont le mérite de répondre à une question qui me taraudait l'esprit : de quelle manière les Devimeux ont connu les Tenet de Laubadère ? Voici une retranscription partielle de l'acte auquel le fragment affiché plus haut appartient : "Le neuf après la publication d'un ban de mariage entre Monsieur Germain Félix Tenet de Laubadère, Capitaine des grenadiers du régiment Royal-Auvergne, en garnison dans la Citadelle de la ville de Calais, fils majeur de défunt Messire Joseph de Tenet de Laubadère, vivant seigneur de Rambos, et de Dame Marie-Anne Françoise de Serignac [...] originaire de la paroisse de Bassoues, diocèse d'Auch, et domicilié en celle-ci depuis plusieurs années". Le futur marié avait ainsi été envoyé dans la Citadelle qui vit, deux siècles plus tôt, Français et Espagnols s'affronter. Ce lieu chargé d'histoire revient plusieurs fois dans le parcours de certains ancêtres. J'aimerais d'ailleurs un jour vous raconter  l'histoire d'ancêtres qui furent  contrôleurs des réparations et des fortifications au XVIIe siècle.

Le mariage conclu - Antoine Borel et Robert de Launay - 1784 - Estampe - Provient de la BNF, Gallica - LIEN
Nous aurions de même pu nous intéresser en détail à la belle et haletante carrière militaire de Germain Félix Tenet de Laubadère, qui participa quelques années plus tôt à la guerre d'Indépendance des États-Unis, mais je vous réserve cela pour une autre fois. Il me semble cependant intéressant de citer un passage de l'ouvrage Les fastes de la gloire de Pierre-François Tissot et des pages consacrées à ce courageux militaire que fut le premier mari d'Éléonore Devimeux : "Laubadère entra au service en 1773, il fit ses premières armes en Amérique avec le Régiment de Gatinois - du Gâtinais - [...] il revint en France, où il fut fait capitaine en 1788, au 18e régiment d'infanterie de ligne, ci-devant Royal-Auvergne. Il était allé rejoindre ce corps à Calais [...]" Les renseignements ne manquent pas et j'aime tout particulièrement ce rapprochement entre Histoire et Généalogie, qui ne rend mes recherches que plus fructueuses et riches en découvertes. Avant d'en apprendre davantage sur Tenet de Laubadère, je vous propose de revenir à l'acte de mariage de novembre 1790. Je ne trouve rien de nouveau en ce qui concerne les parents d'Éléonore. Son père, Jean-François Devimeux fils (1723-1814), fut directeur des diligences et des messageries royales, et était lui-même l'un des nombreux enfants issus des mariages successifs de l'ancêtre commun Jean-François Devimeux père (1669-1750). Il s'était remarié avec Marie-Jeanne Gabrielle Le Turcq, de vingt-quatre ans sa cadette, fille de l'orfèvre Jean-Jacob Le Turq et de Marie-Gabrielle Duval, déjà apparentée à mes ancêtres par le jeu des alliances. Si cela peut vous rassurer, cette famille et sa généalogie plus qu'alambiquée m'ont causé bien des noeuds au cerveau et de longues recherches ont été nécessaires pour en dégager la structure, ou du moins une esquisse de plus en plus affinée, bien que de nombreuses zones d'ombre subsistent toujours. Notons au passage que les quatre témoins, Emmanuel-Céleste de Durfort, duc de Duras, Charles Bertin Gaston Chapuis de Tourville, Marc-Antoine Dudros et François Vaudrimé sont militaires et Chevaliers de Saint-Louis. Il n'y avait jusqu'alors pas eu de militaires* au sein de la famille Devimeux.

Uniformes des États-Majors - 1792-1795 - voir le 4ème en partant de la gauche, en haut - Provient de la BNF - LIEN
Une fois le mariage conclu, je perds la trace d'Éléonore Devimeux, devenue Madame Tenet de Laubadère. Mes lecteurs les plus anciens savent que je n'apprécie guère les recherches au cours de l'époque Révolutionnaire. Ne parvenant à retrouver Éléonore et son mari, je me suis penché sur une autre branche de mes ancêtres, qui a priori n'avait aucun lien avec les Devimeux. Et figurez-vous pourtant que le hasard - toujours le hasard ! - m'a réservé une surprise de taille. Ce devait être l'année dernière, entre avril et mai, au beau milieu des recherches consacrées à la chronique sur mes ancêtres normands. Le temps était à la pluie, mon université en grève, et ces vacances imprévues me permirent de me consacrer pour une fois pleinement à mes passions. Après avoir feuilleté une infinité de pages des registres de Dieppe et de Rouen dans l'espoir de retrouver l'ancêtre Anne Leprince* - qui disparut littéralement de la circulation entre 1789 et 1792, et dont le destin demeure mystérieux -, après avoir en vain tenté de retenir l'ordre et les mois de l'infâme calendrier républicain, au coeur d'un livre poussiéreux gribouillé d'une écriture hâtive et baclée, je suis tombé nez-à-nez avec un acte mentionnant Éléonore Devimeux et Germain Félix Tenet de Laubadère. Tout près d'une rue où vécurent alors d'autres ancêtres, les Troche si ce fut à Dieppe ou les Hurel s'il s'agit de Rouen. Cet heureux hasard, je l'ai noté quelque part dans l'un de mes innombrables cahiers ; mais il m'a suffisamment marqué pour que je le mentionne aujourd'hui. Amis généalogistes, vous êtes-vous également retrouvés un jour face à un tel hasard, lorsque des ancêtres, des familles, dont vous descendez mais qui n'ont aucun lien à l'origine, se sont croisés ?

Croix de Saint-Louis, face et revers - Estampe - Franz Ertinger - Provient de la BNF - LIEN - recadrage pour l'esthétique de l'article
Revenons-en à Germain Félix Tenet de Laubadère. Si les recherches généalogiques permettent certes de retrouver plus ou moins difficilement, et c'est en soi déjà extraordinaire, les faits et les dates marquants de la vie de ceux dont nous descendons et de ceux qui furent leurs proches, si parfois certains témoignages écrits nous parviennent, il me semble toutefois bien plus ardu de mettre la main sur les paroles que l'un d'eux prononça, qui plus est il y a plus de deux siècles, et de les rapporter à notre époque. Et pourtant, ce sont bien quelques phrases prononcées par Germain Félix Tenet de Laubadère lui-même il y a près de deux-cent-vingt-huit ans que nous nous apprêtons à découvrir ici : "Eh bien, puisque vous insistez, nous déserterons ensemble, je ne consentirai pas à me séparer de braves gens tels que vous. [...] Mes amis, les vingt-quatre heures ne sont pas expirées, nous pouvons encore revenir sous les drapeaux du Roi, et ne pas flétrir une compagnie qui fut toujours guidée par l'honneur." De telles paroles paraissent sûrement énigmatiques ainsi sorties de leur contexte, aussi je me dois d'éclaircir les circonstances dans lesquelles cet honnête et loyal - il faut le dire - militaire les a prononcées. Lorsqu'il épouse Éléonore Devimeux en 1790, Tenet de Laubadère, officier gersois, est capitaine des grenadiers du Régiment Royal-Auvergne, en poste à Calais. Peu avant son mariage, ou peut-être au même moment, Tenet de Laubadère se retrouve au coeur d'une tentative de désertion de la part des grenadiers du régiment, harassés, révoltés contre "les mauvais traitements que leur fait éprouver le major". Comprenant qu'il ne parviendra pas à convaincre les soldats en route vers Dunkerque et les "terres de l'Empire", l'ingénieux capitaine fait mine de partager leur colère et se joint à eux, tout en leur indiquant une mauvaise route. "Eh bien, puisque vous insistez, nous déserterons ensemble, je ne consentirai pas à me séparer de braves gens, tels que vous." La première phrase prend ici tout son sens et révèle un esprit pertinent, stratégique, somme toute un peu calculateur. Ainsi, et sans même s'en apercevoir, les soldats sont ramenés en quelques heures à leur point de départ...! Leur capitaine les sermonne quelque peu, illustrant à cette occasion son attachement au Roi et son sens de l'honneur "Mes amis, les vingt-quatre heures ne sont pas expirées, nous pouvons encore revenir sous les drapeaux du roi, et ne pas flétrir une compagnie qui fut toujours guidée par l'honneur." Lumière est désormais faite sur la seconde phrase, et sur le sens des paroles du premier époux d'Éléonore Devimeux. En homme manifestement intègre et juste, Germain Félix Tenet de Laubadère se montre plutôt clément envers les déserteurs, selon les dires de Tissot* : "Ce discours les touche, mais une crainte les retient encore, ils appréhendent d'être traités comme déserteurs : Laubadère a bientôt levé ce dernier obstacle, en leur donnant par écrit l'assurance qu'aucune punition ne leur sera infligée. Pleins de confiance dans la loyauté de cet officier, ils rentrent avec lui dans la place, dont le commandant reçut, peu de jour après, du ministre de la guerre, une lettre ainsi conçue : "Le Roi confirme la parole de M. de Laubadère, et me charge de témoigner sa satisfaction".

Ordonnance du Roi relative au Régiment Royal-Auvergne - 11 juillet 1782 - Provient de la BNF - LIEN
Ainsi se termine ce premier chapitre "La demoiselle Devimeux, Tenet de Laubadère et la Révolution..." qui pourrait bien  préfigurer une chronique entière, d'autant que les sujets ne manquent pas sur cette famille et les nombreuses autres qui lui sont liées. Éléonore Devimeux était la nièce d'un ancêtre dont descendent les grands-parents maternels de la grand-mère de mon père. Sa vie, croyez-moi, lui a réservé de très nombreuses autres péripéties... Elle est l'un des membres de ma famille, pour cette période charnière entre le XVIIIe et le XIXe, dont le parcours suscite grandement ma curiosité et mon intérêt. Germain Félix Tenet de Laubadère, nous le verrons par la suite, sera promu au grade de Général de division. Mais tout ceci est une autre histoire. Je vous laisse avec ce portrait auquel je tiens comme à la prunelle de mes yeux, pour moi sublime, qui est celui de la grand-mère de la grand-mère de mon père, descendante des Devimeux par les femmes, dont le mari l'était aussi, et qui se nommait Pétronille.
 
Pétronille Florentine D., épouse Baron, grand-mère de la grand-mère de mon père, descendante des Devimeux - XIXe siècle - Archives familiales et personnelles

Outre des registres paroissiaux et d'état-civil, les renseignements ayant servi à la rédaction de cet article sont notamment tirés de l'ouvrage suivant dont les passages sont repris dans de nombreux autres textes : *Les fastes de la gloire : ou, Les braves recommandés à la postérité, monument élevé aux défenseurs de la patrie, de l'Académicien Pierre-François Tissot (1768-1854). J'en indique le lien ICI, mais je vous déconseille de le lire si vous souhaitez conserver la découverte et la surprise pour le prochain chapitre. Les illustrations, à l'exception de la dernière, proviennent de la BNF. Quant à moi, je suis particulièrement heureux de vous faire part de ma découverte des phrases prononcées par Germain Félix Tenet de Laubadère, premier époux d'Éléonore Devimeux. *Notes-  I : Éléonore Devimeux était a fortiori fille unique. - II : il n'y a pas eu à ma connaissance d'autres militaires dans la famille Devimeux avant 1790. Soulignons néanmoins que je n'ai pu remonter à l'heure actuelle que jusqu'à Jean-François Devimeux père (1669-1750), apparemment originaire de Paris, et dont je peine à retrouver les aïeuls. - III : concernant l'ancêtre Anne Leprince, on la découvrit l'année dernière dans la chronique consacrée à la famille Troche. C'est en cherchant sa trace dans les registres de Dieppe et de Rouen au moment de la Révolution que j'ai croisé, par le plus simple des hasards, Éléonore Devimeux et son mari. Vous en saurez possiblement davantage par la suite.


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