vendredi 11 mai 2018

Exploration des archives religieuses : de quels maux trépassaient nos ancêtres il y a trois siècles ?

Les actes de décès et leurs prédécesseurs ceux de sépultures, s'ils constituent des éléments primordiaux de toute généalogie, ne nous apportent que trop rarement des explications quant à la mort bien souvent prématurée de nos ancêtres. Il n'est pas rare qu'avant les années 1730, seules trois vagues lignes mal écrites et tâchées d'encre noirâtre nous indiquent le décès d'un aïeul, même si des exceptions existent par chance. De fil en aiguille, les archives religieuses de Rouen et de ses environs, auxquelles m'ont mené le hasard, des cloches et les seigneurs de Dreux, m'ont permis d'avoir une idée moins imprécise des divers maux dont périssaient nos ancêtres.

J'ai quelque peu été aux abonnés absents ces derniers jours, non pas en raison d'un manque de sujets à aborder, mais plutôt à cause d'une inspiration légèrement essoufflée. Ce doit être l'air du temps, humide et gris en ce moi de mai, qui m'ôte toute détermination de terminer un article. Le quatrième volet de la chronique consacrée aux Troche et à leur parcours près de Dieppe m'a passionné plus que je ne l'aurais pensé. Deux ou trois épisodes devraient le suivre, dont un épique qui se déroulerait à l'étranger, même si l'approche des partiels en juin va certainement ralentir ma cadence rédactionnelle. Aussi je pense différer leur publication aux vacances estivales. Mes recherches se sont par ailleurs diversifiées ces derniers jours en deux axes, avec en premier lieu la découverte d'une cinquantaine d'actes concernant des ancêtres du XVIIe siècle, puis, une enquête concernant deux familles dont j'aimerais vous parler d'ici le mois d'août, à savoir les Cordier - de la Houssaye - et les de Fiennes de la Planche, qui m'ont donné et me donnent encore, et ce n'est pas un vain mot, du fil à retordre. Enfin, je vais normalement recevoir d'ici peu le contrat de mariage des grands-parents de ma grand-mère, qui vivaient à Eauze dans le Gers, ce qui pourrait ou non éclaircir quelques-unes des zones d'ombre qui font de cette famille la moins connue de mon arbre. Mais trêve de bavardages, intéressons-nous maintenant au sujet de ce billet !

Estampe d'une cloche - 1797 - Paris - BNF (Gallica)

D'aussi loin que je me souvienne, les cloches et leur musique m'inspirent une joie profonde et authentique dès qu'elles me font le bonheur d'arriver jusqu'à mes oreilles. Non, vous ne rêvez pas, ce sont les cloches qui vont introduire notre enquête. Tout commence lorsque, à la recherche de deux ancêtres nommées Elisabeth Hurel et Marie-Madeleine Le Commandeur, lors de la sombre époque révolutionnaire, je me mets en tête de feuilleter les nombreuses pages des registres de Pavilly, à une vingtaine de kilomètres de Rouen. Alors que je m'apprête à fermer le registre mal écrit, un premier acte peu banal attire suffisamment mon attention pour que j'y jette un rapide coup d'oeil. Et que je m'embarque par la même occasion dans une enquête que je n'avais même pas planifiée. L'un des intérêts de la recherche généalogique est, selon moi, cette influence non négligeable du hasard et de la surprise. Ne dit-on pas que de nombreuses découvertes se sont faites par le plus simple des hasards ? En remontant un peu plus loin dans ces mêmes registres, je tombe nez-à-nez avec une autre curiosité. La plus récente, en date du 19 mai 1788, est la bénédiction des quatre cloches de l'église de Pavilly. La seconde, du 16 janvier 1782, concerne le transfert des corps de deux seigneurs de Dreux morts à la fin du XVe siècle de l'église des Jacobins de Rouen jusqu'à celle de Pavilly, en présence des habitants, de quelques nobles et d'ecclésiastiques.

Extraits des registres de Pavilly - 1788 à g. et 1782 à d. - Archives de la Seine-Maritime
Je vous invite à consulter les registres de Pavilly si vous souhaitez lire en totalité les actes, ce que je ne peux que vous recommander. Au passage, voici, de manière anecdotique, quelques passages de la bénédiction des quatre cloches, histoires de connaître les prénoms qui leur ont été donnés : "[...] ont été bénies les quatre cloches de cette paroisse [...] ont eu pour parrain et pour marraine très haut et très puissant Messire Esprit Robert Le Roux [...] et très haute et très puissante Dame Marie Paule de Vienne de Pont-Carré [..] qui ont nommé la première Esprit Pauline et la troisième Robert Marie ; la seconde et la quatrième ont eu pour parrain et pour marraine très haut et très puissant Messire Louis Elie Camus de Pont-Carré [...] et très haute et très puissante Dame Marie Françoise Félicité de Morant [..] qui ont nommé la seconde Louise Félicité et la quatrième Morant Elise. La cérémonie a été faite en présence de Messire [...] Chanoine de l'église Métropolitaine de Rouen [...]". Les parrains et marraines ont ainsi pris soin d'immortaliser leurs noms dans ces cloches. Personnellement, j'ai un faible pour Esprit Pauline. Plutôt joli, pour une cloche, non ? Sans rentrer dans les détails du deuxième acte, qui concerne l'inhumation des dépouilles des illustres seigneurs de Dreux, je souhaite tout de même vous en citer un seul et unique passage, celui qui a attisé ma curiosité : "[..] qui a conduit les susdits corps et ossements depuis l'église des Jacobins de Rouen jusqu'en celle de cette ville [...]". 

J'ignore s'il en va de même pour vous, mais j'ai été fort intrigué par la mention de toutes ces églises rouennaises. Pour avoir déjà fait de nombreuses recherches dans les registres de Rouen, ville d'où est originaire l'une des deux branches de l'ascendance de mon arrière-arrière-grand-mère normande - l'autre étant du coin de Dieppe et d'Auffay -, je peux vous assurer que cette cité historique regorge d'églises et de couvents. Si ce foisonnement de paroisses a d'ailleurs fortement compliqué mes recherches, nous allons cette fois en tirer partie !

Acte de sépulture de Frère Jacques Fanconnot - 1714 - Registres paroissiaux des Jacobins - Rouen - Archives de la Seine-Maritime
Je ne sais pas encore à quoi m'attendre, ouvrant le registre paroissial des Jacobins de Rouen comme l'on entrouve la porte cachée d'un château menant à une pièce qui nous est inconnue. Le suspens est grand et je me dirige vers les dernières pages, plus récentes, le registre s'étendant de 1641 à 1741. Et là, je n'en crois pas mes yeux. Les actes se succèdent sous mes yeux et j'entrevois çà et là quelques maladies, anecdotes et même le mot "chaises". En somme, des termes plus que rares pour des actes de cette époque. Il est évident que ces documents ne concernent, en règle générale, qu'un petit nombre d'individus, principalement des ecclésiastiques - certains diraient une élite - mais pas que ! J'en veux pour preuve l'acte de sépulture de Martine Havel, en date de l'année 1701, dont voici la transcription : "En 1701 a été enterrée dans cette église vis-à-vis le pénultième de l'église du côté de la porte Martine Havel, veuve en secondes noces du sieur Duval ; elle avait loué les chaises pendant plus de trente ans et avait souhaité avoir une petite place après sa mort auprès du lieu où elles sont répétées ce qu'on a aisément accordé à ses parents et gratis." Ces quelques indications peuvent à première vue paraître légères, et pour autant, leur intérêt généalogique et historique n'est pas des moindres. Pour la première fois, un acte de sept lignes porte à ma connaissance une habitude de vie et un souhait personnel d'une dame qui vécut il y a plus de trois siècles. Il s'agit peut-être là de la seule information à caractère biographique, de la seule trace réellement parlante, que cette Madame Havel, parfaite inconnue, a laissée et immortalisée pour la postérité.

D'autres actes, dont celui visible plus haut, font littéralement office de brefs rapports médicaux, souvent approximatifs quoique fort intéressants et significatifs. Ainsi, le Frère Jacques Fanconnot, convers et profés, meurt en 1714 de la petite vérole, à l'âge de quarante-cinq ans... Maladie qui emporta également Louis XV soixante ans plus tard... En juillet 1699, un tragique fait-divers est rapporté. Le jeune Jean Denis de Paul, douze ans, est inhumé au côté de son père dans la chapelle Notre-Dame de Liesse après s'être noyé dans la Seine, en tombant du quai de la Bouille. L'histoire qui m'aura certainement le plus attristé est celle du Père Pierre Sainneville dont le sort n'est guère enviable si l'on en croit l'acte détaillé dont voici l'essentiel : "Le 29 octobre 1697 est décédé en cette maison le Père Pierre Sainneville, âgé d'environ soixante ans, profés du couvent de Gonesse et qui avait demeuré en celui-ci près de trente ans. Il avait des varices aux jambes dont une s'étant ouverte pendant la nuit il perdit tant de sang qu'on le trouva sans force et mourant dans l'église où il s'était trainé et mourut huit [heures] après [...] ".

Livre des Religieux morts [...] - Ordre de la très Sainte Trinité et Rédemption des Captifs - Rouen - Archives de la Seine-Maritime
Ne nous arrêtons pas en si bon chemin ! Puisque les Jacobins et leurs registres nous ont permis d'appréhender quelles pouvaient être les multiples causes de décès il y a trois siècles, pourquoi n'irions-nous pas frapper aux portes des autres églises et paroisses de Rouen. Dominicains, Jésuites, Minimes, Pénitents, Ursulines, Visitandines... Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il y a du choix et de la variété à Rouen ! Je suis littéralement tombé sous le charme mystique et envoûtant du livre dont je vous ai affiché la première page ci-dessus. L'écriture est si belle, aérienne, légère et fluide, presque artistique à mes yeux. Il est écrit, sous le motif lui aussi bien dessiné quoique macabre : "Livre des Religieux morts et autres personnes séculières enterrées dans l'Église des Religieux de l'Ordre de la Tressainte Trinité et Rédemption des Captifs de la ville de Rouen depuis le 15 septembre 1668." Je ne résiste pas à la tentation de tourner rapidement la page ! Il y a en effet fort à parier que ce petit grimoire surabonde de détails et d'anecdotes qu'il me tarde de découvrir. En voici quelques extraits :
  • 15 septembre 1668 : le Frère Barthélémy des Champs, natif de Coincy en Picardie, mort "de la contagion", est inhumé dans le cimetière où les Capucins qui périrent de la peste après l'avoir attrapée en soignant les "pestiférés" reposent ;
  • le 23 juillet 1750 : le Très Respectable Père Louis Delaporte, natif de Moreuil - toujours en Picardie -, meurt en ayant porté plus de cinquante années le saint habit, âgé de soixante-seize ans, "attaqué deux jours plus tôt d'une apoplexie et d'une paralysie que n'ont pu guérir ni saignées, ni gouttes de Lilium, ni Elixir de M. André ni vésicatoires." ;
  • le 10 octobre 1745 : le Frère Jacques du Chesne, natif de Ry, près de Rouen, âgé de soixante-quatorze ans, est mort "après voir passé quatre mois dans l'infirmerie sans y pouvoir faire un seul pas tout seul pendant lesquels il a reçu les sacrements de l'Église."
Ces trois exemples me semblent représentatifs des maux dont nos ancêtres avaient parfois la malchance d'être atteints. Qu'il s'agisse de fléaux connus de tous comme la peste, de crises soudaines probablement favorisées par une mauvaise hygiène de vie, ou bien de maladies plus longues et invalidantes, tout est mentionné dans ces registres propres aux religieux. Ils auraient pu pareillement remplir, avec un tel souci du détail, les actes de sépulture des citoyens non-ecclésiastiques... Bien qu'il me soit arrivé, mais rarement, d'avoir une précision par le curé de la maladie dont souffrait un ancêtre. En revanche, je dispose de nombreuses informations en ce qui concerne mes ancêtres plus récents, dont le bilan médical d'une arrière-grande-tante que m'ont gentiment transmis des cousines. De notre visite chez les Trinitaires retenons aussi l'énumération des remèdes employés pour sauver ce pauvre Père Delaporte, que les successives saignées ont dû achever. Que diriez-vous maintenant si nous frappions à la porte des Récollets ?

Acte de sépulture du Frère Jean Damascène Bourbon - 18 novembre 1758 - Récollets - Rouen - Archives de la Seine-Maritime
Si les hasardeux remèdes utilisés pour sauver le Père Delaporte m'ont effaré bien qu'ils ne soient en rien anormaux en ces années-là, un air ahuri se dessine sans doute sur mon visage à la lecture de quelques mots de l'acte de sépulture du Frère Franciscain Jean Damascène Bourbon, en date du 18 novembre 1758. En voici une partielle transcription : "Le huitième jour du même mois il fut attaqué d'une apoplexie qui s'étant changée en paralysie sur le côté droit de son corps, il perdit [?] toute connaissance qui, malgré les saignées du bras, du pied, à la jugulaire par trois fois & tous autres remèdes, a duré jusqu'à sa mort [...] ". En deux mots, ils ont taillé la jugulaire de cet infortuné... Je commence à douter sérieusement des compétences de quelques ancêtres chirurgiens que j'ai pu trouver par-ci par là... Quelques décennies plus tôt, le Père Michel Bara, est lui aussi frappé de malchance. N'ayant pas même soixante ans, voilà qu'il se retrouve atteint d'un mal qu'il me serait difficile de décrire : " [...] il avait passé en religion trente-trois ans rendant de bons services et avec affection, jusqu'à ce que quatre ans avant sa mort l'eut [il fut] affligé d'une langueur perpétuelle causée par différents maux compliqués [...] à sa sortie de Montargis où la maladie l'avait attaqué [...] diminué considérablement à cause du peu de nourriture, ne pouvant presque rien avaler, ni retenir [...] et l'impossibilité de rien avaler [sauf] que quelques gouttes de bouillon [...] " J'ai volontairement coupé certains passages qu'il me paraissait indécent de détailler. Je vous laisse imaginer l'état de ce pauvre homme, qui n'avait que cinquante et quelques années... Finissons avec le Respectable Père Paul de Meaux, originaire des environs de Verdun, le 25 novembre 1709 : " [...] Dieu l'avait affligé depuis quelques années d'une surdité qu'il [dont il] souffrait avec bien de la patience. Sa dernière maladie, qui était une pulmonie, commença la nuit du 19 au 20 de ce mois [...] ayant augmenté considérablement le 24 au soir [...] ". Nous avons ainsi, à mon avis, pris connaissance de suffisamment d'histoires et d'anecdotes pour nous faire une idée plus précise des maux dont trépassaient nos ancêtres quelques siècles en arrière. Pulmonies, crises d'apoplexie, paralysies, saignées, petite vérole...

Le malade imaginaire, Molière - Estampe - Grand Siècle - Paris - Provient de la BNF (Gallica) - LIEN
Molière est sûrement celui qui a immortalisé le plus véridiquement l'inefficacité de la "médecine" de l'époque. Je ne crois cependant pas que les personnes dont nous venons de découvrir les maux en exagéraient les symptômes comme l'aurait fait ce cher Argan... Outre ces anecdotes historiquement significatives et parlantes, cette enquête que nous devons, je vous le rappelle, aux quatre cloches de l'église de Pavilly, nous a permis de découvrir non seulement l'importance et la précision mais aussi l'ampleur et la richesse des archives religieuses stricto sensu. Je vous souhaite une agréable fin de semaine. En attendant, je me suis plongé dans la fascinante lecture des Mémoires de Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI et témoin on ne peut plus proche des tourments de la Révolution. A lire sur le site de la BNF à ce lien. Un récit poignant teinté d'un royalisme parfois exacerbé ; mais surtout, un point de vue autre et inédit. Comme à l'accoutumée, un petit trésor de la BNF pour terminer sur une note artistique.

Consultation auprès d'un malade (TR) - Image - 1507 - Strasbourg - Provient de la BNF (Gallica) - LIEN
 

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