mardi 23 mars 2021

Cinquante ans après le centenaire : Arsène Lehoux et Valentine Trevet, une histoire retrouvée

Famille Lehoux : Arsène (1871-1971), Madeleine (1898-1985), Robert (1900-1970), Suzanne (1907-1983) et Valentine (1877-1949)

Mardi 23 mars 1971, Châlons-sur-Marne. Un très vieil homme à l'esprit vif, à la voix chantante et au caractère bien trempé s'apprête à passer le cap du siècle entouré de ses filles, de ses petits-enfants et de ses innombrables arrière-petits-enfants qui forment une troupe joyeuse et bruyante. C'est la dernière fois, pour bien longtemps, que toute la famille se réunit auprès d'Arsène Lehoux, le doyen tourangeau de Châlons, celui qui survécut à un siècle de péripéties et de tracas, qui revint de l'enfer de Verdun, qui fut tour à tour lieutenant des pompiers et viticulteur de renom. Il connut l'euphorie de la fortune et le désarroi de la ruine, la notoriété et l'exil, et sûrement tout ce qu'un siècle d'existence, au tournant de deux siècles et aux confluences tourmentées des époques, peut réserver à ceux qui le traverse. Arsène est très entouré au moment de son centième anniversaire. Mon père, son arrière-petit-fils, qui n'avait que six ans, se souvient vaguement de tout ce monde qu'il y avait dans la salle des fêtes, de l'immense pièce montée. Et vint enfin le moment de la photo, celle qui immortalisa Arsène et ses descendants, répartis en trois branches : Madeleine et Suzanne, les deux soeurs, avaient épousé deux frères Thelliez, d'où la majorité de la descendance, trois enfants pour Madeleine, huit pour Suzanne. Robert avait eu un fils, Jacques, mon grand-père paternel. Cette image que je viens de vous conter est, dans les grandes lignes, ce qui a été retenu de l'histoire de la famille Lehoux et des familles qui lui sont liées. Elle est charmante, elle est belle, les journaux sépia l'ont immortalisée, et une douce nostalgie anime les souvenirs de ceux qui connurent le centenaire. Cette image est un beau souvenir, qui par chance anime encore les discussions de la plupart des descendants de la famille Lehoux. Pour autant, Arsène, lui, se trouvait bien loin de son époque. Que ressentait-il ? De la fierté, sûrement, la joie de connaître ses descendants, indéniablement. De la tristesse peut-être aussi, ou de la nostalgie. Sa femme Valentine l'avait quitté vingt-deux ans auparavant, en 1949, son fils Robert était mort quelque mois plus tôt. Sa mère qui l'accompagna si longtemps, sa soeur Angèle partie si jeune, les vignes, l'Anjou, la Touraine, ses grands-parents maternels, le Paris du XIXe siècle et ses aventures de jeune pompier, tout cela manquait sûrement à Arsène. Mais c'était un homme joyeux, qui du haut de ses cent ans continuait à chanter des refrains du siècle précédent - avec un souffle remarquable -, chants démodés qu'il préférait, avait-il assuré à un journaliste qui l'interviewa quelques années plus tôt, à la musique yéyé. Arsène n'avait pas perdu le sens de l'humour, il gardait les idées claires, et comme s'en rappelle son arrière-petite-fille Claudine, à quatre-vingt-seize ans, il montait encore des côtes avec sa bicyclette, qu'il surnommait d'ailleurs sa "petite reine" ! Peut-être était-ce là le secret de son exceptionnelle longévité : le divertissement, la vivacité d'esprit. Arsène n'avait jamais bu, bien que viticulteur, ni fumé, mais victime du gaz moutarde pendant la guerre, les médecins ne lui prévoyaient pas une grande espérance de vie. Et pourtant, Arsène survécut. Il contredit la science. C'est aussi, sûrement, ce qui l'éleva au rang de légende familiale. Ma cousine Aurore me disait l'autre jour qu'elle se souvenait du portrait de cet aïeul qui trônait chez ses grands-parents, de ses nombreuses médailles. Un peu comme si l'image du centenaire tant de fois médaillé avait été divinisée. Bien-sûr, nous sommes tous, parmi ses descendants, extrêmement fiers de le compter parmi nos ancêtres, tout le monde semble connaître Arsène Lehoux. Il nous est familier. Il est aussi celui dont je tiens mon nom de famille. Son courage et ses qualités sont admirables, et son souvenir mérite d'être transmis. Pourtant, que sait-on réellement d'Arsène, en dehors, si je puis dire, de sa biographie ?

Valentine Trevet et ses parents à Bellevue en 1894
On ne peut comprendre l'histoire de la famille Lehoux sans connaître la famille Trevet, et Arsène n'aurait pas été Arsène Lehoux sans son épouse, Valentine Trevet, de six ans sa cadette. Originaire de Haute-Normandie, les Trevet représentent à première vue ce que l'on peut imaginer de la fin du XIXe siècle, du moins dans ma perception personnelle. Le père de Valentine, Alfred, n'était pas issu d'une famille bien riche. Son propre père était tanneur et finit directeur de filature, nombre de ses ancêtres étaient tisserands, sa mère descendait de la famille Troche, marchands bonnetiers-perruquiers, et timoniers à Dieppe, dont j'ai déjà parlé il y a quelques années, avec une possible ascendance anglaise. Alfred Trevet semble avoir eu de grandes facilités scolaires, du moins on le retrouve déjà jeune cité dans les articles de la presse normande parmi les vainqueurs de divers prix, en grammaire il me semble. La mère de Valentine, Alexandrine Le Breton, dont on tient une grande partie des photographies anciennes que renferme et protège le vieil album familial, venait d'une famille d'entrepreneurs touche-à-tout : serruriers, fabricants de coffres-forts, constructeurs de machines hydrauliques et imprimeurs ; sa mère était issue des Colboc, charpentiers devenus horlogers puis joailliers, que l'on retrouve en Normandie, à Paris essentiellement, à Lyon également. Les ancêtres plus lointains, artisans hétéroclites, notamment papetiers, se répartissent entre Rouen et ses environs, et les ports du littoral, face à l'Angleterre.  Ces familles plutôt urbaines s'appauvrirent considérablement à la toute fin du XVIIIe siècle, mais bénéficièrent de la position stratégique de la Normandie et de l'essor industriel. Alfred Trevet et Alexandrine Le Breton connurent une prospérité rapide, peut-être trop. Ils quittèrent la Normandie au milieu des années 1880, et s'installèrent à Bellevue aux confins des Pays de la Loire, entre Maine, Anjou et Touraine, dans cette belle région à laquelle, même en la connaissant peu, je me suis toujours senti lié par mon nom. Cette région qui est désormais également chère à l'une de mes cousines, une région dont nous nous sentons en partie issus. Valentine et son frère Lucien n'avaient qu'un an d'écart, ils restèrent toujours proches. Leur enfance semble avoir été assez paisible et choyée comme en témoignent les précieux clichés de Valentine jeune. Nous avons toutefois moins de photographies des Trevet après leur départ de Normandie, ce que j'ai finalement pu expliquer : Henri Fatras, le photographe normand, était un ami de longue date d'Alfred Trevet.

Arsène et Valentine lors de leur mariage en 1897
Alors que les Trevet vivaient une vie plutôt calme dans leur champêtre maison de Bellevue, Arsène, âgé de vingt-trois ans en 1894, quittait sa Touraine natale et partait à l'aventure pour rejoindre les pompiers de Paris. Pour Arsène, être pompier était une passion, une vocation même, plus que la viticulture. Ce choix était le sien. D'abord clairon, il se fit remarquer par son courage lors d'un sauvetage  auquel il participa dans le Paris du XIXe siècle, qu'il raconta lui-même près de soixante-dix ans plus tard. Découvrons ensemble ce souvenir si émouvant et si réaliste, et laissons à parole à notre ancêtr
e : « Il était environ seize heures, lorsqu'un violent incendie s'était déclaré dans une fabrique de fleurs artificielles. Le feu faisait rage partout et les gens criaient : "Il y a des enfants au troisième étage !" J'escaladai le plus vite possible une échelle accrochée au mur. Ce n'était pas facile ! La fumée m'aveuglait et m'asphyxiait. De plus, la chaleur était intense. Cependant, j'arrivais quand même à la fenêtre du troisième. Je cassais un carreau et me glissais prestement à l'intérieur... On n'y voyait plus rien. Des cris étouffés me parvenaient. J'attrapais un drap et, tant bien que mal j'y enveloppais les deux gosses terrorisés. La descente fut encore plus pénible. Parvenus au deuxième étage, le drap se dénoua. Je réussis à saisir les deux parties du tissu qui, inexorablement, glissaient et condamnaient les gosses à une mort certaine. Finalement, après d'innombrables difficultés, je parvenais sur la terre ferme, épuisé, mais rempli d'une joie immense. Il était temps !" Ce sauvetage qui a eu lieu il y a plus de cent-vingt ans nous permet de vivre quelques instants de la vie d'Arsène, de connaître ses impressions. Pour ma cousine Camille, arrière-arrière-petite-fille d'Arsène et de Valentine, ces souvenirs sont très émouvants. Elle partage, et a sûrement hérité d'Arsène, la vocation d'être pompier. Arsène serait très fier de savoir que ce métier qui le passionnait se retrouve désormais parmi ses descendants. C'est comme s'il y avait un lien, une transmission inconsciente, ancestrale dirions-nous. Ma cousine Aurore l'a très bien défini : des impressions, des angoisses, mais aussi certains aspects de la personnalité et du vécu de nos ancêtres se transmettent. C'est, je pense, ce que l'on pourrait appeler la mémoire inconsciente, et la généalogie, en éclairant la vie de nos ancêtres, montre aussi les similitudes insoupçonnées que nous avons avec eux, ou plutôt ce qu'il y a d'eux en nous.
 
Jeanne Suzanne Jamin (1844-1931), mère d'Arsène
Carnet de poésie de Valentine, commencé le 10 juin 1894
C'est à contrecœur que le jeune Arsène revint en Touraine. En 1897, ses parents le pressent de se marier avec Valentine. Elle a tout juste dix-neuf ans et lui vingt-six, mais cette union est une aubaine pour la famille Lehoux. Derrière cette décision, Jeanne Suzanne Jamin, la mère d'Arsène. Ainée d'une vieille famille de Neuillé-Pont-Pierre, elle fut toujours proche de son fils et lui fit donation d'un certain nombre de terres dès qu'il eut seize ans. Arsène était destiné par ses parents à devenir viticulteur, tonnelier et marchand de vin. Ces professions sont celles des Lehoux à chaque génération, à une ou peut-être deux exceptions près. Les plus anciens Lehoux, ou Le Houlz tel que s'écrivait alors mon nom, étaient viticulteurs ou exerçaient des métiers liés à la viticulture. Le plus ancien de mes ancêtres paternels actuellement connu était peut-être un marchand de vin à Château-du-Loir ou dans les charmants villages environnants. Reprenant la tradition viticole familiale, Arsène devint à son tour viticulteur, greffeur-tonnelier-viticulteur,  propriétaire d'un domaine viticole, producteur de Jasnières et marchand de vin à La-Chartre-sur-le-Loir et au Mans pour reprendre les termes exacts que nous retrouvons dans les archives. Si ce n'était pas sa première passion, la viticulture, dont il était diplômé, lui offrit aussi une belle carrière sur laquelle je ne reviendrai pas aujourd'hui. Les photographies du mariage impressionnent et je me souviens encore du jour où j'ai pu les découvrir, quand Martine, cousine de mon père et arrière-petite-fille d'Arsène, me les envoya. Ces quatre photos prises de manière instantanée ont d'exceptionnel les moments qu'elles immortalisent comme les scènes d'un film. C'est aussi cette impression qu'évoquent Martine, Aurore, Claudine et plusieurs autres cousins et cousines à la vue de ce patrimoine photographique qui nous émerveille tous et que nous nous efforçons de préserver et de partager. Pour autant, les photographies du mariage ne sont pas celles qui m'émeuvent le plus, car elles ne reflètent pas ce qu'il y a d'authentique chez chacun de nos ancêtres. Elles célèbrent un moment particulier, impressionnent et ont sûrement été pensées pour, mais d'autres photographies et documents nous en apprennent davantage sur la personnalité de nos ancêtres. C'est notamment le cas du fragile carnet de poésie de Valentine, dont elle a débuté l'écriture le 10 juin 1894, un peu avant ses dix-sept ans, sûrement entre le printemps et l'été, près de la rivière qui borde les jardins de Bellevue. C'est dans ce carnet, qu
i revêt à mes yeux une très grande importance émotionnelle, que je me retrouve, plus que dans toutes les photographies que nous avons, à l'exception peut-être de celle de la famille Trevet dans les jardins de Bellevue  qui m'est aussi étrangement familière. Et si ce carnet m'est aussi cher, c'est sûrement car j'en ai moi-même un, que j'ai commencé à écrire des poèmes au même âge que mon arrière-arrière-grand-mère, et que notre style de graphie se ressemble. Je forme certaines lettres comme Valentine, au détail près, et le faisait déjà bien avant de connaître l'existence de son carnet. La notion de mémoire ancestrale inconsciente prend ici tout son sens et accompagne ces recherches généalogiques.
 
Angèle Lehoux (1869-1904), soeur d'Arsène
Valentine, photographiée entre 1892 et 1896
Même si le mariage a été arrangé, il semble que Valentine et Arsène éprouvèrent l'un pour l'autre une certaine douceur. La famille fit face à plusieurs décès dès le début du XXe siècle. Un an après s'être mariée, Valentine, qui n'a que vingt ans, perd sa mère Alexandrine Le Breton. En octobre 1904, Arsène perd sa soeur Angèle, emportée soudainement à l'âge de trente-cinq ans par le croup, une maladie respiratoire, et dont il ne nous reste qu'un portrait. Angèle Lehoux demeure bien mystérieuse, l'histoire familiale ne la mentionne pour ainsi dire pas. Cette perte fut terrible pour Arsène. Les filles des familles Lehoux et Trevet nées après 1904 eurent d'ailleurs comme second prénom Angèle. Peu de temps après, en 1906, Alfred Trevet, le père de Valentine, meurt à l'âge de cinquante-quatre ans, suivi en 1907 par le père d'Arsène, Paterne Lehoux. En moins d'une décennie, la famille Lehoux perd la moitié de ses membres. Arsène et Valentine vivent à La-Chartre-sur-le-Loir et confient leurs trois enfants, Madeleine, Robert et Suzanne, à la mère d'Arsène, restée dans l'Indre-et-Loire. Ils étaient, comme l'explique Liliane, l'une de leurs petites-filles et cousine de mon grand-père, des parents aimants. Leurs trois enfants furent choyés, matériellement du moins, ne manquaient d'aucun jouet et n'avaient pas à travailler. Cette éducation semble s'être répétée au moins chez Robert Lehoux puis chez mon grand-père. Madeleine, Robert puis Suzanne qui était un peu plus jeune se rendaient aux marchés tourangeaux avec leur grand-mère qui leur achetait des pâtés et des fromages. Jeanne Suzanne Jamin, la mère d'Arsène, joua un rôle important au sein de la famille. Elle fut pour Valentine comme une mère de substitution, d'autant plus lorsque la terrible première guerre mondiale éclata. Triste coup du sort pour Arsène : ancien pompier de Paris, il fut envoyé, à l'âge de quarante-trois ans, dans une compagnie de lance-flammes, il connut l'enfer de Verdun et sûrement l'enfer tout court. J'ignore quelle furent ses conditions de vie, ou plutôt bien de survie, au front, car les lettres qu'il écrivait à Valentine n'ont pas été gardées et qu'il n'a semble-t-il que peu exprimé ses souvenirs, ou plutôt ses traumatismes, de guerre. Je n'ose imaginer l'horreur des scènes auxquelles il assista. Valentine se retrouva du jour au lendemain seule à la tête d'un domaine viticole, d'un commerce de vins et d'une probable partie de l'héritage de ses parents. Son éducation ne l'avait en aucun cas préparée à affronter de tels enjeux...

Carte au nom d'Arsène Lehoux, Jasnières, La Chartre-sur-le-Loir
La famille Lehoux telle qu'elle était au début du XXe siècle
La personnalité de Valentine se situe au croisement de deux siècles, de deux époques. C'est une femme cultivée, intelligente et sensible, qui étant jeune écrivait des poèmes sur les fleurs et le printemps, mais elle n'a jamais connu une réelle liberté. D'abord sous la tutelle de son père, elle fut mariée à l'âge de dix-neuf ans. Si Arsène semble avoir été un père et un mari plutôt aimant, les lettres montrent qu'il prenait seul les décisions et n'obéissait qu'à une seule femme, sa mère. Lorsque celle-ci tomba gravement malade en 1917, si l'on en croit les réponses de Valentine, il fut pris d'une grande inquiétude. Fort heureusement, elle s'en remit, probablement dotée de la même santé de fer que son fils. Une autre caractéristique de la réaction de Valentine lors de la guerre est son indécision constante dans la gestion des finances. Elle attendait systématiquement la réponse d'Arsène, ne fût-ce que pour vendre des bouteilles de vin. Et si elle fustigeait par écrit la "mauvaise volonté" des ouvriers, elle n'osa jamais faire plus que quelques réclamations. Ces correspondances particulièrement intéressantes, dont j'ai pu avoir connaissance grâce à ma cousine Claudine qui les conserve précieusement, montre que Valentine peut-être encore plus qu'Arsène était une personne née et éduquée au XIXe siècle. Même si elle vécut bien plus longtemps au XXe, et que dans sa jeunesse elle espéra peut-être une plus grande latitude, Valentine agissait comme l'auraient sûrement fait sa mère ou sa grand-mère. Le même phénomène eut sans doute lieu pour la mère d'Arsène, née dans les années 1840, élevée par des gens ayant vécu au début du XIXe siècle et même au XVIIIe. Ces familles n'étaient pas préparées pour faire face aux enjeux du XXe siècle, et pourquoi l'auraient-elles été ? Le XIXe siècle leur avait assuré la prospérité, surtout dans ses dernières décennies. Il se raconte que pendant la guerre, Arsène aurait été spolié par un homme qui n'était pas parti au combat, par un rapace lâche qui s'accapara le mérite et la fortune d'un infortuné combattant. Arsène revint avec la gloire des héros de guerre, mais complètement ruiné. Nous avons beaucoup de mal à estimer ce que la famille Lehoux a perdu suite à la guerre, mais la somme est considérable. A la fin de la guerre, Valentine est obligée de travailler comme secrétaire, alors que depuis plusieurs décennies les femmes de la famille vivaient de leurs biens et de leurs rentes. La mère d'Arsène aurait perdu l'ensemble des biens qu'elle tenait de sa propre mère et de ses grands-parents, dont certains appartenaient à sa famille depuis plus d'un siècle. Toutefois, Valentine et Jeanne Suzanne Jamin, la mère d'Arsène, auront essayé de préserver coûte que coûte le confort matériel des enfants. Et c'est là un trait caractéristique de la famille Lehoux. On peut cependant se demander si tout ce confort matériel a réellement protégé les trois enfants Lehoux des périls de la guerre, du vide et de l'incertitude laissés par l'absence de leur père. Arsène Lehoux disait lui-même que s'il n'y avait pas eu la guerre, il aurait été riche. L'après-guerre ne leur épargna aucun tracas. Après avoir en vain tenté de se refaire une santé financière au Mans, les six membres de la famille Lehoux quittent les confins de la Touraine et de l'Anjou pour la région soissonnaise où leurs trois enfants se marieront. 
 
La famille Lehoux à la fin de la guerre, en 1919, Le Mans
C'est véritablement une page de l'histoire de la famille Lehoux qui se tourne. Arsène et Valentine ne reviendront en Touraine que dans les années 1930, à Limeray très exactement. Ils connurent une nouvelle guerre et célébrèrent leurs noces d'or en 1947. Valentine partit peu de temps après, au printemps 1949, à l'âge de soixante-et-onze ans, épuisée par un siècle si dur et si différent de l'époque où elle écrivait des poèmes dans la quiétude des jardins de Bellevue. Arsène partit vivre chez ses deux filles à Châlons-sur-Marne, passant six mois chez Madeleine et six mois chez Suzanne. Il semble avoir été en froid avec son fils Robert, mon arrière-grand-père, pour des raisons que nous commençons à peine à deviner et qui sont liées au divorce de mes arrière-grands-parents. Mon grand-père fut élevé par sa mère et fréquentait peu la famille Lehoux, alors qu'il était le seul des petits-enfants d'Arsène en avoir le nom. Cet éloignement s'explique par la rancoeur, si ce n'est la haine, que mon arrière-grand-mère gardait contre Robert Lehoux, suite aux aventures et aux liaisons supposées que ce dernier aurait pu entretenir, et qui le conduirent à être écarté de l'histoire familiale. Elle découpa même certaines photographies pour ne pas qu'il y figure, et ne garda que les documents concernant Arsène, effaçant par la même occasion Valentine. Mon père et mon grand-père, bien que portant le nom Lehoux, reçurent l'éducation de mon arrière-grand-mère et connurent en fait peu la famille Lehoux. L'histoire aurait pu de notre côté s'arrêter là, nous aurions pu complètement oublier  Arsène s'il n'avait pas eu son exceptionnelle longévité. Une longévité qui lui permit de retrouver l'aura qu'il avait perdu suite à la guerre. Arsène, désormais arrière-grand-père, était le doyen multimédaillé de Châlons-sur-Marne, jadis lieutenant des pompiers, autrefois viticulteur, il avait survécu à la guerre et aux époques successives. C'était un personnage connu et respecté à Châlons-sur-Marne, et le temps ne lui avait pas volé son apparente joie de vivre : il chantait, débordait d'énergie et faisait de la bicyclette à quatre-vingt-dix ans passés. Il fallut, comme nous l'a raconté pas plus tard qu'hier sa petite-fille Liliane, que son gendre coupe la bicyclette en deux après un accident qui lui avait valu d'être hospitalisé - et il était tellement entêté qu'il essaya de partir de l'hôpital en pleine nuit en reprenant sa bicyclette ; on sait de qui mon père tient en partie son caractère ! Le centenaire fut le dernier grand événement de la très longue vie d'Arsène, un événement qui réunit de très nombreuses personnes, le préfet ou le député-maire m'a-t-on raconté, et cette effervescence fut peut-être pour Arsène une once de réconfort après tant de peines. Ses nombreux arrière-petits-enfants, dont mon père, Sabine, Marilyne, Dominique, Jean-Michel, Marie, Lydia, Bruno, Emmanuel, Frédéric et tant d'autres furent tous exemptés d'école ou de garderie pour assister au centenaire comme s'en souvient avec joie et précision Laurence, cousine de mon père et arrière-petite-fille d'Arsène. Mon père, mon grand-père et même mon arrière-grand-mère qui avait pourtant toujours refusé d'être appelée Mme Lehoux du temps où elle était mariée avec Robert, étaient présents. Pour la dernière fois, la famille Lehoux était au complet, si l'on excepte Robert décédé quelques mois plus tôt et tombé dans l'oubli le plus total, et ma grand-mère Yvette, hélas décédée quelques mois plus tôt elle aussi. Arsène chanta quelques chants après le gargantuesque repas - dont le menu est particulièrement alléchant - et nous avons eu l'immense joie de découvrir ou de redécouvrir sa voix il y a quelques semaines. Mes abonnés Twitter ont pu d'ailleurs écouter ces enregistrements que Gérard, l'un des petits-fils d'Arsène, a eu l'intelligence de conserver. Quelle surprise pour ma cousine Laurine et moi qui aimons chanter de découvrir un autre point commun avec notre ancêtre. Après une vie si longue, et si loin de sa Touraine natale, Arsène échappa au pire le jour de son centenaire, et le trente-six-mille-six-cent-vingt-cinquième jour de sa vie, lorsque ses arrière-petits-enfants firent tomber sur lui le paravent où étaient exposées ses nombreuses médailles. Arsène avait survécu à la guerre, à la ruine et au XXe siècle, il survivrait bien à ses arrière-petits-enfants !

Décès d'Arsène Lehoux dans le journal - 1971
Arsène Lehoux le mardi 23 mars 1971 à l'âge 100 ans
L'image heureuse laissée par Arsène lors de son centenaire, en dépit de tout ce que la vie avait pu lui réserver, est le souvenir fédérateur commun à toutes les parties de la famille, tant pour ceux qui ont vécu le centenaire et s'en rappellent que pour ceux qui soit étaient trop jeunes pour en avoir un souvenir net, soit sont nés après. C'est ce souvenir commun qui a permis, ces dernières années, une série de retrouvailles virtuelles pour certaines, réelles pour d'autres. Il y a bientôt dix ans, c'est la photo du centenaire que j'ai publiée sur geneanet qui permit à nos cousines Claudine et Martine, descendantes de Madeleine Lehoux, de nous retrouver mon père et moi. Plus récemment, c'est ma cousine Julie, descendante de Suzanne Lehoux, qui m'a contacté sur les réseaux sociaux. L'idée de créer un groupe virtuel pour les descendants d'Arsène et de Valentine m'est venue suite, d'une part, à la facilité de partage des photographies que cela permettrait, et d'autre part en raison de l'importance pour nous de fêter les cent-cinquante ans de la naissance d'Arsène et les cinquante de son centenaire en dépit du contexte actuel. Ce groupe est une véritable réussite et compte désormais une cinquantaine de personnes de toutes les générations. Je me félicite de cette initiative sans laquelle je n'aurais pu entendre la voix d'Arsène. La descendance d'Arsène et de Valentine compte trois enfants, douze petits-enfants dont certains sont en vie, trente-huit arrière-petits-enfants, soixante-dix-sept arrière-arrière-petits-enfants - ma génération - et quarante-deux arrière-arrière-arrière-petits-enfants, ce qui donne cent-soixante-douze descendants. Tous semblent avoir eu écho de l'histoire d'Arsène, de son existence, et ressentent cette fierté de le compter parmi ses ancêtres, pour mon père et moi d'autant plus puisque c'est de lui que nous tenons notre nom. Si je me réjouis du souvenir laissé par le centenaire, j'ai la conviction que c'est le moment pour que cette famille retrouve son passé, s'intéresse à Arsène non pas seulement le jour de son centenaire mais sur toute sa vie, et se souvienne enfin de Valentine Trevet, notre ancêtre elle aussi, complètement et très injustement oubliée par l'histoire familiale. Oubliée au point où mon père et moi n'avions même pas connaissance de son existence. Nous aurions pu attribuer cela à la colère de mon arrière-grand-mère contre Robert Lehoux, mais en parlant avec plusieurs de mes cousines je me suis aperçu que Valentine était inconnue de tous ou presque, un comble quand on sait que la plupart des photographies très anciennes que nous avons viennent de sa famille. Elle était encore, il y a dix ans, la seule de mes arrière-arrière-grands-parents dont je ne connaissais ni le nom ni l'existence. La seule dont aucun écho si faible fût-il ne m'était parvenu. Nous sommes plusieurs, dans ma génération, à vouloir la remettre à l'honneur, et pour ma part à vouloir sortir de l'oubli tous les autres membres des familles Lehoux et Trevet qu'Arsène, lui, n'avait jamais oubliés, même s'ils n'ont pas eu sa longévité. J'aurais pu écrire un article sur les très belles carrières d'Arsène Lehoux, sur ses distinctions, ses médailles, mais j'ai - et je pense avoir bien fait - tenté de remettre ce qu'il nous reste d'Arsène et de Valentine en tant que personnes à l'honneur. Ma génération remet en question l'histoire familiale en accordant à notre arrière-arrière-grand-mère autant de considération qu'à notre arrière-arrière-grand-père, et je trouve cela très bien. Il y a tant d'informations sur cette famille que je n'ai bien-sûr pas pu aborder tous les thèmes en un seul article. C'est maintenant mon arrière-grand-père Robert Lehoux, qui finit seul et éloigné de sa famille, qui m'intrigue. Avec tous les ancêtres qui forment notre arbre généalogique, et qui se répartissent dans tout l'ouest de la France, à Tours, à Dieppe, à Rouen et dans d'innombrables villages, un livre serait nécessaire, et l'idée commence à faire son chemin chez certains. Pour l'heure nous comptons poursuivre le groupe virtuel et, quand la situation le permettra, organiser des rencontres réelles car nous ne nous connaissons pas tous. Je réfléchis pour ma part à un projet sur les lieux de vie de nos ancêtres, que j'ai pu visiter pour certains. Le centenaire était jusqu'à présent le dernier événement commun aux trois parties de la famille Lehoux, et cinquante ans plus tard j'ai l'impression que les branches de l'arbre se rapprochent. Pour reprendre ces quelques mots du discours prononcé par Arsène lors de son centenaire : comme jadis la France est belle, marchons vers la gloire, buvez enfants le vin de mes 100 ans. Et prenons exemple sur Arsène, qui doit aussi sa longévité au fait de n'avoir jamais bu d'alcool ni fumé. Un exemple à suivre. Et tant que j'y pense, j'entends souvent dire que s'il n'y avait pas eu la guerre, la famille aurait roulé sur l'or. Certes, Arsène et Valentine auraient pu continuer sur leur lancée, Arsène avait déjà une renommée dans le monde de la viticulture à l'échelle nationale, d'autant que le Jasnières correspond à un territoire très spécifique, et il serait peut-être devenu un grand nom de la viticulture. Mais il n'aurait sans doute pas quitté La Chartre-sur-le-Loir, ses enfants ne se seraient pas mariés avec les mêmes personnes et aucun de nous n'existerait à l'heure actuelle pour se souvenir d'eux. Puisque je suis d'humeur poétique en ce moment, je pense qu'il est temps que la famille Lehoux et ses descendants voient que derrière la gloire du centenaire il y a eu l'errance et la ruine de la guerre, et que nous réalisions ainsi l'ampleur des événements vécus par Arsène et Valentine. Plus encore, il me semble extrêmement important de ne plus réduire l'histoire de la famille Lehoux à la journée du 23 mars 1971, mais aussi de nous intéresser à chacun de ces ancêtres proches et plus lointains dont les photographies nous sont parvenues. De s'intéresser à l'époque où Arsène sauvait des vies à Paris pendant que Valentine écrivait des poèmes dans les jardins de Bellevue. De s'intéresser à ceux qui vécurent avant eux. Arsène et Valentine ont préservé le souvenir de leurs ancêtres, ont toujours gardé toutes ces photos que même la guerre n'a pas pu leur voler. Le plus précieux héritage que nous avons est cette connaissance de nos ancêtres et toutes ces photographies merveilleuses. Nous devons absolument les préserver, ne serait-ce que par respect pour nos ancêtres. Je remercie l'ensemble de mes cousines et cousins qui ont rendu possible toutes ces découvertes, toutes les personnes qui prennent part au groupe, et j'espère que ces recherches nous réserveront encore de belles surprises. Une cousinade est d'ores et déjà prévue pour le 23 mars 2071 ! Wilfried Lehoux
 
Ancêtres de la famille Lehoux - L'utilisation des photos est strictement réservée aux membres de la famille
 
Arsène Lehoux lors de son mariage en 1897, il était alors viticulteur, et vers 1894, lorsqu'il était pompier

Valentine Trevet, Alfred Trevet, Alexandrine Le Breton et Lucien Trevet en 1894 dans les jardins de Bellevue

samedi 12 décembre 2020

Redécouvrir l'Histoire par ses ancêtres : le Siège de Boulogne-sur-Mer, 1544

Chers lecteurs, en ces temps particulièrement maussades j'espère de tout coeur que deux-mille vingt et son lot de tracas vous épargnent ou ne vous affectent pas trop. J'essaie pour ma part, après une année assez désagréable - covid, intoxication alimentaire sérieuse - de tromper l'ennui, priant pour qu'il neige abondamment. En janvier dernier, je m'imaginais fêter Noël quelque part en Scandinavie, loin de l'aigreur et du marasme français, je pensais retourner en Islande en juin, faire un tour en Espagne... Les idées d'articles ne manquaient pas non plus, notamment pour donner suite à celui consacré aux Nègre et aux Lévis-Léran, mais ces confinements répétés et les restrictions de libertés qu'ils engendrent, auxquelles il est d'ailleurs impératif de ne pas s'habituer, ont pour le moment interrompu ces projets. La santé reste évidemment l'essentiel. Qu'à cela ne tienne, il en faudrait bien davantage pour me lasser de la généalogie, et ces quelques mois confiné à écouter en arrière-fond des cours ô combien inspirants m'ont donné l'occasion d'approfondir ma connaissance de plusieurs familles qui figurent dans mon ascendance. Je me suis notamment intéressé à l'Auvergne médiévale et, plus récemment, à la septentrionale Boulogne-sur-Mer, citadelle ancestrale au passé pour le moins tumultueux. Car s'il est certain que 2020 est une sombre année, 1544 le fut aussi pour les habitants du Boulonnais, région de la Côte d'Opale qui fait face à l'Angleterre. Mon arrière-grand-mère paternelle avait par sa mère d'anciennes racines à Boulogne-sur-Mer, dès le règne de Louis XIII et majoritairement au XVIe siècle. Avec un peu de chance et de persévérance, j'ai pu retrouver de précieuses informations sur ces ancêtres qui vécurent il y a près de cinq siècles, de sorte que leurs vies et les péripéties qu'ils connurent, qu'ils endurèrent même, nous permettent désormais de redécouvrir un événement historique survenu en 1544, le Siège de Boulogne. Et ce sous un angle moins abstrait, plus anecdotique, personnel, où Histoire et Généalogie, ces deux disciplines qui me sont chères, bien que la seconde soit cruellement négligée pour l'étude de la première, se croisent et s'entremêlent de manière inattendue...

Bolonia in Francia - Auteur et éditeur anonymes - Geografia - 1549 - Provient de Gallica (BNF) - LIEN

Carte de l'Artois - 1600 - Gallica (BNF) - LIEN
Juillet 1544, dans les dernières années du règne de François Ier... La Neuvième guerre d'Italie fait rage, Henri VIII et Charles Quint s'allient et réunissent une terrifiante armée. Boulogne-sur-Mer et ses habitants, en première ligne en raison de leur proximité géographique avec l'Angleterre, se retrouvent encerclés par vingt-cinq-mille hommes. La Basse-Ville portuaire, où se mêlent marins et commerçants, et la Haute-Ville, fortifiée et fort ancienne, comptent tout au plus quatre à cinq-mille habitants dont une large moitié de femmes, d'enfants et de vieillards. Nous aurions pu croire, à première vue, Boulogne immédiatement perdue. La Basse-Ville, vulnérable, est prise au bout d'une semaine. La situation géographique de Boulogne-sur-Mer l'expose aux plus grands périls : au nord Calais est anglaise, à l'est les Flandres sont aux mains du Saint-Empire, à l'ouest l'Angleterre est toute proche. Seule une route hasardeuse et ténue passant par Montreuil-sur-Mer relie encore Boulogne au royaume de France dont certains s'accordent à dire qu'elle est la dernière frontière, le promontoire, la sentinelle, l'avant-garde. Les Boulonnais, craignant d'ordinaire les "maléfices" de la mer, se retrouvent cette fois confrontés à ceux de la terre. L'effroi devait être grand, et pour cause : depuis l'automne 1543, les armées ennemies dévastaient impitoyablement le Boulonnais. Ni Desvres ni Marquise ne purent se défendre. Prise de panique, la population s'était réfugiée dans les églises, pensant échapper aux exactions des armées. Il n'en fut rien... Villages incendiés, églises dévastées, les campagnes vallonnées du Boulonnais furent couvertes du sang de la population massacrée. Aucun survivant, pas même les enfants, tel était l'ordre de l'infâme Henri VIII. Certains ancêtres qui vivaient alors dans les campagnes réussirent par chance à se cacher. La Haute-Ville de Boulogne est la seule en mesure de résister, derrière sa double-enceinte fortifiée construite trois siècles plus tôt sur d'anciennes défenses romaines, perchée à soixante mètres de hauteur. La protection de la ville est placée sous le commandement d'Oudard du Biez, maréchal de France, et sous celui du gouverneur militaire Jacques de Coucy. Oudard du Biez, et cette anecdote dont j'ai eu connaissance lors de mes recherches sur le Siège de Boulogne m'a semblé amusante, est apparenté à l'une de mes ancêtres par sa mère Isabeau de Berghes-Saint-Winock, nièce de Marie-Antoinette de Berghes-Saint-Winock, une ancêtre de mon arrière-grand-mère. Les liens entre histoire et généalogie sont parfois infimes, et bien qu'il n'y ait ici pas de rapport direct avec les familles boulonnaises, je m'amuse de ces parentés découvertes au hasard de mes enquêtes. J'ai pu retrouver ce beau portrait du maréchal, toutefois n'oublions pas que lors du Siège de Boulogne Oudard du Biez avoisinait déjà les soixante-dix ans.
Oudard du Biez (1475-1553), Maréchal de France - The Morgan Library&Museum
La Haute-Ville est loin d'être en position de force et ne peut opposer aux armées anglaises et impériales que mille-huit-cents hommes dont un tiers de mercenaires italiens. Les fortifications sont jour et nuit bombardées par les féroces canons anglais. Nombre d'habitants sont blessés mais aucun n'est résolu à capituler. La Haute-Ville est historiquement réputée pour être imprenable, ses habitants sont quant à eux connus pour leur hargne, leur acharnement, particularités qui forgent leur identité. Il est important de réaliser que l'emplacement périlleux de Boulogne-sur-Mer en avant-poste littoral et frontalier entre la France et l'Angleterre lui confère des avantages stratégiques considérables. Le commerce y est florissant, notamment celui du hareng. Aussi peut-on lire dans quelques ouvrages d'érudits du XIXe siècle les descriptions suivantes : "C'était le principal point d'embarquement pour l'Angleterre, celui par où se faisait un grand commerce de transit : laines, cuirs, métaux, charbons, fromages, suifs venant d'Angleterre et expédiés sur le continent ; vins de France, blé allant en Angleterre [...] On pêchait, suivant les saisons, des baleines, des mulets, des maquereaux, et dans la Canche des esturgeons, des saumons, des marsouins, ect. Mais la pêche du hareng était la plus fructueuse [...]" Les bénéfices d'un tel commerce permettaient aux Boulonnais d'entretenir les fortifications de leur ville. Ils étaient en contrepartie exemptés de "toute taille, subside ou gabelle" ; la gabelle étant une taxe sur le sel, nul doute que son exemption représentait un réel privilège pour les Boulonnais dans leurs activités commerciales. Jadis, l'Angleterre ennemie concéda également aux Boulonnais des spécificités avantageuses, à l'instar d'une exemption du droit de lestage, qui correspond alors aux droits payés par les navires marchands pour leur chargement. Boulogne est par ailleurs le lieu d'un célèbre pèlerinage qui n'a rien à envier à celui de Lourdes. Erasme lui-même s'y rendit et qualifia l'église Notre-Dame en ces mots : "tout y brille en or, argent et pierreries, en tout ce que vous pouvez imaginer de plus rare et de plus estimé". D'autres évoquent les parfums qui embaumaient les lieux. Mes ancêtres boulonnais, qui vivaient pour la plupart, du peu que les rares archives subsistantes ont pu m'apprendre, dans la Haute-Ville, faisaient justement le commerce de l'or, de la soie, des draps, du vin et de la bière. Beaucoup devinrent ensuite magistrats ou tiraient leurs revenus des domaines qu'ils possédaient dans les campagnes environnantes. Quelques-uns, plus rares, écumaient les mers sur leurs bateaux. Je comprends dès lors pourquoi ils manifestèrent un tel acharnement à résister, à ne pas quitter cette Haute-Ville qui, protégée par d'impressionnantes fortifications, leur assurait sécurité et prospérité, en dépit de l'instabilité et de la vulnérabilité de la région qu'elle surplombait tel un phare devant une mer à la fois nourricière et tumultueuse. Les sources, d'une manière générale, tendraient plutôt à insister sur une loyauté sans faille des Boulonnais envers le Roi, loyauté qui à elle seule suffirait à expliquer l'acharnement des habitants de la Haute-Ville à ne pas céder. Je crois, à mon humble avis, qu'il faut être un plus pragmatique et prendre en considération les atouts commerciaux et les privilèges historiques dont profitaient les habitants de cette citadelle portuaire. Je suis convaincu que si les Boulonnais furent peut-être de fervents défenseurs du royaume, ils étaient davantage encore soucieux de leurs propres intérêts. L'été 1544 voit une population cernée et retranchée dans sa forteresse tout tenter pour conserver la Haute-Ville. Ainsi commença le Siège de Boulogne...

Plus ancien registre conservé - 1553 - Boulogne Saint-Nicolas - AD62
Plusieurs de mes ancêtres directs vécurent cette guerre dramatique, et bien que les restes d'archives soient extrêmement lacunaires pour cette période - nous y reviendrons un peu plus tard - il m'est apparu intéressant de répertorier et de lister ceux de mes aïeuls du XVIe siècle qui furent les témoins et les acteurs du Siège de Boulogne. Il m'est individuellement difficile de les repérer, à l'exception des Robert de Parenty père et fils, de Nicolas Bouchel et de Robert Mareschal, qui furent échevins de Boulogne-sur-Mer. Outre les Parenty, les Bouchel et les Mareschal, plusieurs autres familles dont je descends ont a fortiori vécu ce siège, à savoir les familles d'Hautefeuille, Evrard, Le Cat, Leclercq, éventuellement les Morant, les Leporcq, les du Fourmanoir, les Mansse et les Marlet, et sûrement d'autres dont je n'ai pas encore retrouvé de traces. Robert de Parenty père est échevin au moment même du Siège. L'ancêtre la plus âgée qui vivait probablement à Boulogne en 1544 aurait été Jehanne Maugis, née aux alentours des années 1470. L'ancêtre la plus jeune fut peut-être, ce n'est là qu'une hypothèse, Jehanne de Lattre, âgée d'environ six ans et petite-fille d'un conseiller du gouverneur de Boulogne, mais rien ne le certifie. Des frères et soeurs d'ancêtres nés un peu plus tard étaient sûrement jeunes en 1544. Quoi qu'il en soit, plusieurs générations participèrent à la résistance boulonnaise - tel est ainsi le nom que je me permets de donner à l'effort de défense courageusement mené par les Boulonnais de la Haute-Ville. D'après les témoins de l'époque, c'est l'ensemble de la population boulonnaise qui prit les armes dès la seconde quinzaine du mois de juillet. Une telle situation de retranchement pose naturellement la question de l'approvisionnement en eau. Cela peut paraître simplet, mais peu de travaux semblent avoir pris en considération cette question. Je ne me suis pour ma part jamais rendu à Boulogne-sur-Mer et ne connais cette région que pour y être passé pour aller en Angleterre, ou l'avoir approchée lors de vacances un peu plus au Sud en Picardie et sur la côte d'Opale. La Haute-Ville, comme son nom l'indique, se trouve en hauteur, entourée de remparts épais que l'on ne peut traverser que par quatre portes fortifiées. D'après ce que j'ai pu lire sur l'histoire générale de Boulogne, il semble qu'il y ait eu de l'eau douce par résurgence et que la Haute-Ville fût apparemment de tout temps approvisionnée. Le Siège dura tout l'été et la situation des Boulonnais empirait de jour en jour. Les canons anglais prirent pour cible l'église Notre-Dame et les défections dans les rangs des mercenaires italiens ne tardèrent pas. Les réserves de grains - dont les Parenty se sont à plusieurs reprises occupés au cours du XVIe siècle - n'étaient pas non plus éternelles. Acharnés coûte que coûte à défendre leur ville, les Boulonnais firent preuve d'un rare entêtement. Voulant éviter un bain de sang, le gouverneur entreprit de négocier une capitulation avec les Anglais. Sitôt avertis, le mayeur Eurvin et les échevins, et notamment Robert de Parenty, se précipitèrent au beffroi pour faire sonner la bancloque, cloche qui faisait en quelque sorte office d'alarme, et réunirent l'ensemble des habitants. L'annonce d'une possible capitulation provoqua la colère générale, les Boulonnais déclarant à l'unisson qu'ils préféreraient "s'enterrer sous les ruines de la ville" plutôt que de l'abandonner. Les Parenty auraient été parmi les plus récalcitrants à l'idée d'une capitulation. La devise de cette famille, apparemment encore de nos jours inscrite sur les murs d'une maison de la Haute-Ville, était d'ailleurs la suivante : Dieu est mon but, pour y parvenir j'endure. La capitulation était toutefois déjà en marche et rien ne put l'arrêter. Elle fut perçue comme une grande honte par les Boulonnais, leur citadelle invincible venait de tomber aux mains de leurs pires ennemis. Dans un geste désespéré, les habitants tentèrent d'emporter avec eux leurs richesses...

La peste de Phrygie - Estampe - Marc-Antoine Raimondi, d'après Raphaël - XVIe siècle - Gallica - LIEN
Entre deux rangées de l'armée anglaise, les Boulonnais, très précisément mille-cinq-cent-soixante-trois hommes, mille-neuf-cent-vingt-sept femmes et enfants, auxquels s'ajoutèrent cent-cinquante-et-un soldats et blessés ainsi que les magistrats de la ville, soit plus de trois-mille personnes au total, quittèrent Boulogne dans un triste cortège, les uns derrière les autres. La scène fut sûrement traumatisante pour les Boulonnais qui entassèrent tout ce qui pouvait l'être de leurs biens et partirent en exil... Les Anglais ne respectèrent pas la capitulation et les Boulonnais exilés furent la cible de toutes les violences : pillage, vols, viols, leur marche s'avéra extrêmement dangereuse. Et comme si la journée n'avait pas déjà été assez funeste, un terrible orage s'abattit sur ces infortunés qui cherchaient à sauver le peu qui restait de leur fortune. Le Boulonnais était dévasté, les chemins devinrent boueux et les soldats anglais rôdaient. Il est difficile de suivre la trace des habitants par la suite. Beaucoup partirent pour les territoires que l'armée française avait entre-temps récupérés, certains s'arrêtèrent à Montreuil et d'autres tentèrent de rejoindre Abbeville, la Normandie ou la Picardie. La famille Parenty s'entêta cependant à rester près de Boulogne, et parvint tant bien que mal à atteindre Desvres, ou du moins ce qu'il en restait, pour s'y établir temporairement, et ce peut-être en évitant les chemins fréquentés et en passant par les forêts. Robert de Parenty et son épouse Jehanne du Fourmanoir avaient eu à ma connaissance huit enfants : Robert, mon ancêtre, qui n'avait alors que dix-neuf ans, Jehan, résidant "à l'étranger", Jehanne, Éléonore, religieuse à Boulogne, Anne, Françoise, Appoline et une sixième fille dont le prénom m'est inconnu. Il semble certain que Robert et Éléonore se trouvaient avec leurs parents. Bien que redevenue française, Desvres avait été détruite et pour ainsi dire désertée. Les témoins de l'époque rapportent qu'avec les "débris de sa fortune" Robert de Parenty acheta une petite maison et un jardin entouré de grandes haies ; les uns les situent en plein centre-ville, les autres penchent au contraire pour un lieu à l'écart, au milieu des collines boisées. Mon ancêtre conserva sa charge d'échevin les années qui suivirent, espérant à coup sûr que la situation s'améliore. Le premier réflexe des Anglais qui avaient pris possession de la Haute-Ville fut de détruire toutes les archives de Boulogne, dont les titres qui garantissaient à la ville ses privilèges. Cet acte a des conséquences catastrophiques, comme vous pouvez vous en douter, pour mes recherches généalogiques. Certes, Boulogne est mentionnée dans des archives anglaises et françaises, mais la quasi-totalité de ses propres fonds antérieurs au Siège disparurent ce jour-là. Notre-Dame et les riches demeures de la Haute-Ville furent pillées, les églises saccagées. Il fallut plusieurs années et un nouveau Roi, Henri II, pour récupérer la Haute-Ville au prix d'une rançon considérable. Le gouverneur Jacques de Coucy fut décapité en 1549 pour trahison suite à la capitulation de Boulogne. Le maréchal Oudard du Biez échappa de peu à l'exécution. Emprisonné trois ans et disgrâcié, il mourut peu de temps après. A cette époque-là, les dirigeants ou les responsables pouvaient payer très cher leur incompétence... 
 
Le 24 mars 1550, la France récupéra Boulogne. Les Parenty furent parmi les premiers à revenir, car mon ancêtre Robert fils y épousa Jehanne d'Hautefeuille en octobre de la même année. Âgé de vingt-cinq ans, il venait de passer six ans séparé de sa ville natale. Les années qui suivirent marquèrent la fin de la présence anglaise en France. Calais devint française en 1558 et les armées anglaises furent chassées du royaume. Boulogne se trouvait cependant dans un état lamentable, tout était délabré, détruit, et l'hygiène déplorable des armées répandit la peste et la lèpre. Les Boulonnais s'attelèrent courageusement à reconstruire la ville qu'ils avaient honteusement été obligés de quitter quelques années plus tôt, et nombre d'habitants semblent être rapidement revenus. Les Parenty prirent activement part à la renaissance de Boulogne. L'un des premiers réflexes des Boulonnais fut apparemment de remettre par écrit leurs privilèges historiques dont les titres avaient été détruits, pour tenter de conserver les atouts commerciaux dont la survie de la ville dépendait. Les échevins s'employèrent à établir une politique de reconstruction ambitieuse et drastique. La sécurité des habitants semble avoir été une priorité - certains, de nos jours, devraient s'en inspirer. Les milices bourgeoises surveillaient les portes et les remparts tandis que les habitants, tenus d'avoir des armes chez eux pour se défendre, se relayaient de jour comme de nuit au clocher de l'église Notre-Dame et en haut du beffroi de l'église Saint-Nicolas pour guetter toute présence ennemie. Cette mesure témoigne de l'ampleur du traumatisme vécu par les Boulonnais lors du Siège de 1544. Au prix d'un effort financier conséquent, les fortifications sont reconstruites. Chaque foyer doit envoyer, chaque semaine, une personne pour participer aux travaux. Nul n'est exempté : nobles, ecclésiastiques, femmes, enfants et vieillards doivent participer. Les rues sont pavées. Autre mesure novatrice, les toitures en chaume sont interdites, remplacées par des toitures en tuiles, afin d'éviter le risque d'incendies, véritable fléau apparemment très redouté dans la Haute-Ville. Je pense pouvoir en partie attribuer, suite à d'autres recherches, cette idée à la famille Parenty. Des échelles, des cordes, des sceaux et des refuges sont par ailleurs aménagés et disposés dans chaque rue. D'un point de vue économique, des foires et des marchés sont organisés, le prix du pain est réglementé, les réserves de blé sont étroitement surveillées. Le commerce du hareng est exclusivement réservé aux Boulonnais, les habitants de la ville sont prioritaires par rapport aux étrangers. Avant d'émettre un quelconque jugement, il faut réaliser que la ville n'avait plus que le commerce pour financer sa reconstruction. Toutes ces mesures sont rapidement mises en oeuvre sous l'étroite surveillance des échevins. Cette volonté de reconstruction ne put toutefois empêcher la propagation de la peste et de la lèpre. 
 
Tour d'Ordre, Boulogne-sur-Mer - Gallica, LIEN
L'une et l'autre frappèrent deux de mes ancêtres. Ce n'était pourtant pas faute de bonne volonté. Les "boues, immondices, cendres et lessives" devaient être isolées dans un endroit spécifique en dehors des maisons et étaient ramassées deux fois par semaine, l'élevage intérieur des porcs était strictement interdit et un hôpital fut construit. Hélas, les deux terribles fléaux sévissaient. De nombreuses personnes eurent le malheur d'attraper la lèpre, et parmi eux Antoinette Leclercq, veuve depuis l'an 1552 de Nicolas Bouchel, ancien échevin. De nombreux travaux historiques citent mon ancêtre, et les sources divergent. Antoinette Leclercq aurait peut-être contracté la lèpre dans les années 1540, pendant ou après le Siège, et en serait décédée en 1554. D'autres sources indiquent qu'elle avait "autrefois" attrapé la lèpre mais qu'elle en semblait guérie. Les lépreux, dont la seule évocation effrayait la population, étaient d'ordinaire envoyés à la Madeleine où ils avaient le droit d'organiser une foire annuelle et de vivre entre eux. A Boulogne, certaines maisons furent construites pour qu'ils puissent y vivre. Antoinette Leclercq obtint le droit, eu égard à son défunt mari, de rester à Boulogne à condition qu'elle vive dans sa maison de la Burière qui, si je ne m'abuse, se trouve dans la Basse-Ville. Elle meurt dans tous les cas en 1554, à l'âge de cinquante-quatre ans, certains affirment qu'elle serait décédée à la Madeleine. Cette malheureuse ancêtre n'a pas eu de chance. Un point m'intrigue cependant : les sources précisent que les "autres bourgeois" atteints de la lèpre sont envoyés à la Madeleine. Pourquoi ne l'aurait-elle pas été ? L'hypothèse selon laquelle elle aurait pu guérir de la lèpre ou du moins être atteinte d'une forme moins sévère apparaît alors plus convaincante. Ne serait-ce pas là le sens qu'il faut donner au mot "autrefois" ? Je suppose que l'Histoire doit garder ses zones d'ombre. Robert de Parenty père fit quant à lui les frais de la peste. Dévoué à aider les malades - il avait été, par le passé, receveur de l'Hôpital de Boulogne - il en fut lui-même atteint. Son dernier testament, qu'il rédige en avril 1553, est précieux car il mentionne chacun de ses enfants et des détails particulièrement intéressants. Robert père lègue à son fils Robert, mon ancêtre, son anneau d'or orné d'une cornaline, une pierre précieuse plus ou moins rougeâtre venant en principe d'Inde ou d'Amérique du Sud. Il lègue à sa fille Anne une grande robe fourrée de noir et à son petit-fils un pourpoint de satin tanné et ses chausses. Ces précisions ont pour moi une grande importance puisque j'ai pu retrouver des modèles de pourpoints similaires, de la même époque, et ainsi m'imaginer plus précisément les vêtements de mon ancêtre. L'héritage comprend également tout un tas de rentes, de droits, de propriétés en dehors de Boulogne, quoique l'essentiel de l'héritage soit résumé par "tous les héritages provenant des prédécesseurs". Il comporte cependant peu de biens matériels. Doit-on entrevoir là les conséquences du Siège de Boulogne ? Les demeures des Parenty, situées dans la Haute-Ville, ont sûrement été pillées par les Anglais. Cet anneau d'or orné d'une cornaline était vraisemblablement un bien important aux yeux de mon ancêtre, et peut-être l'un des seuls qu'il put sauver lors de l'exil qui suivit le Siège. Robert de Parenty père s'éteignit au début du printemps 1553, à l'âge de soixante-huit ans environ. Son fils Robert, mon ancêtre, qui hérita de l'anneau d'or, lui succéda dans ses fonctions. Plusieurs autres ancêtres assez âgés, sans doute durement éprouvés par le Siège et ces années de guerre et d'exil, trépassèrent dans les dix années qui suivirent. Le Roi, qui avait tout intérêt à assurer la prospérité commerciale de Boulogne - ne serait-ce que pour ses harengs - permit à la ville de devenir le siège de la Sénéchaussée, de l'Amirauté et de l'Officialité, qui est le tribunal de l'évêque du diocèse. La ville reprit ainsi une certaine influence. L'acharnement et le courage dont les Boulonnais avaient fait preuve lors du Siège de leur ville parvinrent jusqu'au Vatican et le Pape les récompensa en faisant de Boulogne un important diocèse. Les pleins pouvoirs judiciaires furent octroyés aux échevins - y compris l'application de la peine de mort ou du bannissement. Robert de Parenty fils fut justement de très nombreuses années échevin, parfois continuellement. Il eut plusieurs enfants de ses deux épouses et, je vous en ai fait part voici quelques jours, j'ai retrouvé une peinture sur bois où figure l'une de ses filles. Mais ceci est une autre histoire, et croyez-moi, en 1553, Boulogne n'était pas au bout de ses peines : le XVIe siècle lui réservait de nouvelles guerres et d'autres épidémies.

Il y a tant à raconter sur la tulmultueuse histoire de Boulogne-sur-Mer que nous aurions pu y consacrer bien des lignes encore. Ces familles, qui figurent toutes parmi les ancêtres directs de mon arrière-grand-mère paternelle, traversèrent tant de péripéties que leurs vies prirent des allures parfois romanesques. Le ton adopté dans cet article, s'il ne l'est pas complètement, se veut tout de même assez narratif en ce que j'ai tenté de saisir le Siège de Boulogne comme l'aurait fait un témoin, et de comprendre ce que mes ancêtres purent vivre et ressentir. Les faits sont bien-sûr réels, les informations à caractère hypothétique et les possibles questionnements, s'il y en a, sont indiqués. Se questionner sur l'Histoire n'est pas la réécrire, je laisse le soin de la réécriture partiale ou impartiale à certains universitaires experts en la matière. Il y a une information dont je doute, à savoir cette fameuse résurgence qui aurait permis à la Haute-Ville d'être alimentée en eau douce. Ne connaissant pas Boulogne je me suis contenté de cette explication trouvée dans des livres du XIXe siècle, aussi si par un heureux hasard un Boulonnais pouvait me confirmer ou m'infirmer cette hypothèse j'en serais ravi. Je dois admettre être bien chanceux car les fonds et les ouvrages sur la famille de Parenty et sur plusieurs autres familles mentionnées dans cet article, et qui sont mes ancêtres, sont nombreux, même en ligne. Et je suis d'autant plus chanceux que tant d'informations me soient parvenues sur mes ancêtres compte tenu des destructions d'archives engendrées par les guerres dont cette région a si souvent été victime. J'ai déjà abordé le caractère hasardeux et délicat des recherches au XVIe siècle notamment dans cet article, et me réjouis ainsi, un an plus tard, d'avoir retrouvé de nouvelles informations. Les généalogies boulonnaises semblent, en tout cas pour mes ancêtres, remonter particulièrement loin et atteignent aisément le XVIe siècle, si ce n'est le XVe. S'agirait-il d'une particularité régionale ? Cette enquête mêlant histoire et généalogie, bien que je n'en présente ici que quelques aspects - j'ai fait fi du détail militaire, diplomatique, de la poliorcétique, de la reprise de Boulogne et de longues lectures - m'a particulièrement plu.  La (re)découverte de l'Histoire par la Généalogie permet d'apporter un regard plus concret et direct sur notre passé. L'Histoire a toujours plus d'intérêt lorsqu'elle concerne nos ancêtres, et peut-être que si les Français connaissaient leurs ancêtres et ce que ces ancêtres ont fait pour protéger leur village, leur ville ou leur pays, ils manifesteraient davantage de considération pour le passé. J'ai été assez exaspéré, je dois le dire, de voir sur twitter des individus déplorer que les Français préfèrent se rendre dans des musées plutôt que d'améliorer leur prétendu piètre niveau de mathématiques. Opposer en permanence le littéraire au scientifique d'une manière aussi caricaturale relève à mes yeux d'une simplicité d'esprit que l'on confondrait presque avec de l'idiotie pathologique. Dire que l'Histoire n'a aucune utilité est particulièrement dangereux. Un peuple qui n'a pas de passé n'a plus de repères et devient manipulable à souhait. Cela vaut pour tous les peuples et pour un peuple dans toute sa diversité. Les sociétés actuelles sont atteintes d'un mal terrible : l'ignorance, la méconnaissance ou la connaissance biaisée du passé. La France tout particulièrement. L'enseignement de l'Histoire est sélectif, conditionné par des idéologies diverses. Vous ne trouverez jamais ou à de très rares occasions des cours sur la résistance des habitants de Boulogne-sur-Mer face aux armées anglaises en 1544. Quel prétexte serait suffisamment légitime pour justifier que des personnages historiques comme le maréchal Oudard du Biez soient rayés de l'Histoire ou si peu étudiés, quand d'autres le sont systématiquement ? Alors je n'attaque personne - sauf les esprits égarés qui déplorent que les Français aillent visiter des musées, eux sont impardonnables - mais je crois qu'il est important de soulever certaines interrogations. Il me semble également primordial de nuancer les stéréotypes dont la période dite de l'Ancien Régime est la cible particulière. Les normes générales ne prévalent que lorsque le sujet reste tout autant général, lorsque l'on parle des masses. Mais les masses n'ont pas de réelle signification en généalogie. Vos ancêtres n'étaient pas des masses, mais des individus comme nous le sommes aujourd'hui. Dès lors que le sujet d'étude est un individu, une famille, les habitants d'un village ou d'une ville provinciale, ces normes sont nuancées par des particularités. Des particularités et des histoires individuelles qui forment autant, si ce n'est même davantage, l'Histoire dont nous sommes les héritiers. Car l'exil vécu par mes ancêtres en 1544, la reconstruction des fortifications qui les entouraient et l'anneau qu'ils ont réussi à sauver ont peut-être eu plus d'importance pour l'histoire de cette partie là de ma famille que je ne sais quelle vérité générale enseignée ou considérée comme une norme, je crois que l'Histoire d'un peuple ne peut être l'histoire des masses.  S'intéresser à l'individu, à son parcours et à ses émotions, privilégier une approche humaine ouverte au questionnement plutôt qu'une analyse schématique et très scolaire, quasi-mécanique, donne une autre dimension à l'Histoire. Un dernier point, je me permets d'être très critique à l'égard des politiciens - dans leur ensemble, toute nuance confondue - car leur manque de culture historique est cruel. Or la méconnaissance historique d'un peuple additionnée à celle des représentants de ce peuple conduit à un désastre culturel et civilisationnel. Le passé est une source de leçons autant qu'il est une source d'inspiration. Les mesures prises par les échevins de Boulogne-sur-Mer pour reconstruire la ville sont sûrement plus intelligentes et pertinentes que celles prises par certains maires ou ministres à l'heure actuelle, compte tenu des moyens techniques dont chacun dispose. J'en suis convaincu, l'Histoire n'est en rien inutile ; elle peut le paraître si elle est mal enseignée, présentée de manière tronquée, mais elle est passionnante et inspirante quand elle vous touche directement, qu'elle concerne vos ancêtres, votre village ou votre ville. Sur ce, il est bientôt sept heures du matin - oui, je suis plus éveillé et créatif la nuit que le jour - et je ne me vois pas lister une bibliographie rébarbative maintenant. Dieu sait que je déteste saisir ces bibliographies normées. Toutefois, je vous en fais la promesse, je vous indiquerai d'ici dimanche soir des sources et des lectures sur l'histoire de Boulogne-sur-Mer qui m'ont semblé passionnantes. 2020 n'est certainement pas la meilleure des années, mais 1544 ne le fut pas non plus pour les habitants du Boulonnais. Cela n'enlève rien à la dureté et à la difficulté de 2020, mais peut-être qu'il y a dans le passé des réponses à certaines questions que la société d'aujourd'hui se pose, ou devrait se poser. J'espère simplement, car je sais que plusieurs personnes que je suis et qui me suivent sur Twitter ont été durement éprouvées par l'année actuelle, que 2021 sera plus clémente. La santé reste le bien le plus essentiel, même s'il faut veiller à nos libertés. Et pour ma part, aussi utopique que celui puisse paraître, j'aimerais bien retrouver l'anneau d'or orné d'une coraline qui appartenait à mon ancêtre. Je reste aussi intrigué par cette étrange Tour d'Ordre, ancien phare romain, qui existait jadis à Boulogne. On croirait quelque peu la tour de Babel. Certains ont qualifié Boulogne-sur-Mer de sentinelle, de frontière ultime, d'avant-poste. Je dirais que Boulogne-sur-Mer, capitale de la côte d'Opale, fut le phare le plus avancé de la France. Sources.