samedi 15 septembre 2018

Rendez-vous ancestral à la Belle Époque : rencontre avec Valentine Trevet - Première partie

Notre rendez-vous ancestral nous mène cette fois-ci à la rencontre de Valentine Alexandrine Trevet, future épouse Lehoux. Alors que s'écoulent paisiblement les dernières années du XIXe siècle, celle qui est la moins inconnue de mes arrière-arrière-grands-mères, âgée de dix-sept ans en 1894, s'adonne à la lecture et à la poésie, dans un cadre champêtre aux airs de Belle Époque. Partons pour cette douce France d'antan dont la seule évocation suffit à me faire rêvasser...

Quelque part aux confins de l'Anjou, 1894...

Une sorte de joie s'écoulait paisiblement de cette petite mare verdâtre que j'apercevais entre les barres du majestueux portail, lui aussi vert, mais sombre, plus imposant. J'entrevoyais les beaux arbustes, les meubles charmants et la sérénité qui émanait des lieux. Les oiseaux accueillaient jovialement de leur chant les quelques cousins, tantes et oncles invités par les propriétaires de la demeure, dominant les bords de la rivière. Au loin, quelques forêts, la bourgade, la filature et les usines. L'horizon d'une famille pour qui les dernières décennies du XIXe siècle semblent avoir été un long fleuve tranquille...

La veille, mon trajet en train depuis la capitale m'avait permis de rencontrer deux des invités de la famille Trevet et d'engager la conversation avec eux, un dialogue qui s'était fort bien déroulé grâce aux connaissances acquises lors des nombreuses lectures que j'ai pu faire de la presse de ces années-là. Ces quelques heures de trajet partagées dans le train furent si divertissantes que mes deux interlocuteurs parisiens, un certain M. Henry Le Breton et l'une de ses cousines, Mme Delafosse, me proposèrent de les accompagner au repas organisé par leurs proches parents, Alfred Trevet et Alexandrine Le Breton - mes ancêtres directs -. Je n'aurais pas imaginé pouvoir me faire inviter si facilement, mais il semblait y avoir une sorte de lien, quelque chose de similaire avec ces ancêtres et cousins du XIXe siècle. Un voiturier nous conduisit ensuite jusqu'à la demeure des Trevet, aux limites de l'Anjou...

Chevaux anglo-normands Calèche vis-à-vis - Estampe - Albert Adam - XIXe siècle - Provient de la BNF (Gallica) - LIEN
Je contemplais cette belle bâtisse dont l'apparence me rappelait quelque peu le style haussmannien que j'affectionnais tant, le charme des campagnes provinciales en prime. Des fleurs débordaient de cet havre de paix et leurs parfums s'harmonisaient. M. Jules Le Breton, frère d'Henry, fit sonner la clochette pour avertir les hôtes de leur arrivée. Une femme assez grande, la quarantaine, les cheveux lissés et vêtue d'une impressionnante robe nous ouvrit. Je devinais, à son regard empreint d'un délicat mélange de mélancolie et de bienveillance, qu'il s'agissait d'Alexandrine Le Breton, mon arrière-arrière-arrière-grand-mère.
-Ma cousine, quelle joie de vous revoir après tout ce temps ! s'écria Mme Delafosse, de son vrai nom Aimée Azelma Auber.
-Ma chère, c'est en effet un bonheur de vous retrouver ici, et en si bonne compagnie ! lui répondit-elle avec un sourire lumineux.
Alexandrine salua les autres invités : ses deux frères Jules et Henry, Albert, fils de Mme Delafosse et artiste dramatique en herbe, ainsi que sa belle-soeur Mme Dujardin, née Julie Trevet, accompagnée de sa jeune petite-fille Marthe Mutel. Il ne restait dès lors plus que moi et je fus présenté par Mme Delafosse :
-Ce jeune homme que nous avons rencontré lors de ce long trajet nous a été d'une compagnie fort sympathique. Aussi, désireux d'approfondir ses connaissances en histoire sur votre belle région, nous lui avons proposé de nous accompagner, si vous n'y voyez, je l'espère, aucun inconvénient.
Alexandrine me regarda, avec cette gentillesse qui la caractérisait déjà sur les photographies que je connaissais d'elle, et accepta : Ma foi, pourquoi refuserais-je ? Et puis, ma chère cousine, j'ai en vous et votre avis une entière confiance. Il y a suffisamment de pièces ici pour nous loger tous convenablement.
Elle se tourna ensuite vers moi : Jeune homme, me feriez-vous le plaisir d'accepter cette invitation ? Aussi, pourriez-vous, puisque si je ne m'abuse l'histoire vous passionne, nous parler quelque peu de cette discipline ?

Petit salon - Lithographie - Benoît Ph. - 1872 - Provient de la BNF (Gallica) - LIEN
Nous entrâmes alors dans le vaste jardin... Un lieu hors du temps, d'une gaieté saisissante et d'une naturelle élégance. De part et d'autre, divers arbres fruitiers avoisinaient de somptueux rosiers, et, aux quatre coins de l'allée pavée qui menait à la demeure des Trevet, quelques petites chaises boisées étaient installées pour lire à l'ombre. Au loin résonnait la mélodie d'une vivifiante fontaine qui était cachée par de plus grands arbres. Des papillons, des hérissons et un écureuil peuplaient les lieux. Tout était propre et bien ordonné. L'ensemble était sublimé par une musique fort agréable qui émanait du salon dont la fenêtre était ouverte. On jouait du piano. Cette fin de XIXe siècle me paraissait être une époque absolument ravissante. Alexandrine ouvrit la majestueuse porte d'entrée, nous pénétrâmes cette fois dans le hall, face à un bel escalier, à la droite duquel une porte menait à la verrière. Nous allâmes à gauche, vers une porte aussi imposante que la précédente qui conduisait à un vaste salon. En entrant, je découvris une pièce spacieuse et j'avais l'impression de baigner dans une ambiance parfaite, presque artistique. Les fenêtres apportaient une lumière soyeuse, les rideaux et la tapisserie une ambiance chaleureuse. Une galerie de photographies encadrées décorait les murs. Ces portraits étaient ceux de plusieurs membres des familles Trevet et Le Breton, des êtres chers qui semblaient nous regarder avec bienveillance depuis une époque déjà lointaine. Je m'attardai sur deux d'entre eux, assemblés, que je reconnus ensuite. Alexandrine me confia qu'il s'agissait de ses parents, qu'ils lui manquaient et que ces portraits dataient de la génération précédente. Le souvenir des ancêtres revêtait visiblement une importance particulière en ce temps-là... Une grande table dominait le fond de la pièce, face à un miroir quelque peu majestueux.

Les époux Le Breton, parents d'Alexandrine, de Jules et d'Henry Le Breton- XIXe siècle - Photographies familiales
Je venais tout juste de remarquer mon arrière-arrière-grand-mère, Valentine Trevet, alors âgée de seize ans. Elle jouait justement du piano et s'arrêta pour saluer les invités, et parut fort joyeuse de revoir sa petite-cousine, Marthe Mutel, et son cousin, Albert Delafosse. Tous trois étaient à peu près du même âge. Valentine me paraissait être d'une grande intelligence, quelque peu timide et rêveuse. De taille assez grande et élancée, elle portait une longue robe amarante ornée de blanches fleurs et se terminant par de délicates manches en dentelle. Elle m'adressa quelques mots en souriant timidement :
-Monsieur, j'espère que ce morceau que je répète et pour lequel je m'entraîne tant vous aura plu.
-Assurément, je vois en vous les qualités d'une artiste. Et votre morceau s'accorde fort bien avec l'harmonie des jardins.
Elle parut heureuse et me remercia. Valentine semblait sereine et épanouie en cette fin de XIXe siècle. Elle ignorait encore tous les tourments qui l'attendaient au XXe... Il en était sans doute de même pour les autres personnes présentes en cette belle journée de l'an 1894. Mme Dujardin, qui raffolait apparemment de la gastronomie française, demanda, curieuse, à sa cousine, quels seraient les plats du jour, ce qui ne manqua pas de faire rire Henry et Jules Le Breton, les deux frères d'Alexandrine. Ayant lu de nombreuses recettes de la France d'autrefois, je ne pouvais que me réjouir du repas qui s'annonçait.
-Voyons-voir ce que le traiteur nous propose : en entrées, nous avons un potage corsaire, du mouton aux marrons et une soupe aux légumes. Pour les plats, nous dégusterons palais de boeuf à la lyonnaise, salmis de perdreaux à l'Armagnac et pommes sautées au beurre. En ce qui concerne les desserts - Marthe se mit à sourire - seriez-vous tentés par des charlottes à la confiture, des meringues à la crème et un délicieux Saint-Honoré ?

Valentine Alexandrine Trevet - 1895 - Photographies familiales
Toutes ces personnes paraissaient si heureuses alors que s'écoulait paisiblement la dernière décennie du XIXe siècle. Un repas joyeux comme il dut il en y avoir d'autres se préparait. J'y étais, je ne sais par quelle chance, invité. Ces gens qui étaient mes ancêtres m'avaient ouvert les portes de leur belle demeure, un lieu agréable, fleuri et reposant. Toutefois, l'idée de converser avec des personnes dont les destins, les dates de décès et l'avenir m'étaient connus ne me paraissait pas envisageable. Avais-je le droit de m'immiscer dans la vie de mes ancêtres, à la manière d'un narrateur omniscient ? Comment aurais-je pu, en sachant pertinemment que le XXe siècle réserverait à Valentine Trevet de dures épreuves, la mort de ses parents et une guerre, lui parler comme si de rien n'était, alors qu'elle s'adonnait à ces passions littéraires et musicales ? Les invités se racontaient les dernières nouvelles, heureux de se revoir. Je devais m'éclipser avant que le repas ne commence. J'avais pris soin d'apporter avec moi quelques vieilles feuilles, une plume et un peu d'encre pour laisser un mot, comme je le fis lors d'un autre rendez-vous avec mes ancêtres maternels. J'écrivis ces quelques lignes : Chers amis, je vous remercie sincèrement pour votre accueil et votre invitation. J'aurais volontiers accepté de me joindre à vous pour ce repas, mais quelques affaires urgentes m'attendent un peu plus loin. Valentine, je ne peux que vous encourager à continuer la musique. Aussi je n'oublierai pas de sitôt ces belles rencontres. Il se pourrait bien que je repasse un jour. Je repartis discrètement, me retournant une dernière fois sur ces paisibles jardins. J'eus comme l'envie de m'y assoir et d'y rester lire, profiter de cette douce Belle Époque, mais je ne pouvais malheureusement pas rester dans un siècle qui n'était pas le mien et qui de toute façon s'achevait pour laisser place aux tragédies du suivant. Une fois sorti de la demeure de mes ancêtres, je sentis comme une brise de nostalgie passer. Le portail ne se referma pas totalement, et resta entrouvert, comme pour me signifier que j'étais le bienvenu en ces lieux du passé, disparus aujourd'hui. Aujourd'hui. Ce mot avait-il réellement un sens ? Quelque part, une partie de mon âme n'avait pas quitté cette demeure, ces jardins et leur paisibilité. Le piano résonnait de nouveau. Je m'étais juré d'y revenir un jour... 

Jardin anglais - Eugène Cicéri - XIXe siècle - Provient de la BNF (Gallica) - LIEN - Bibliothèque de Strasbourg
Ce rendez-vous ancestral, que j'ai écrit en écoutant Saint-Saëns et Fauré, m'a permis d'imaginer certes de manière un peu idéalisée ce qui semble avoir été le paisible quotidien de mes ancêtres au cours de la Belle Époque. Les protagonistes de ce récit ont tous bel et bien existé : Henry et Jules Le Breton étaient les frères - restés célibataires à Paris - d'Alexandrine Le Breton. Ils avaient pour cousine Mme Delafosse, née Aimée Azelma Auber et fille d'Eulalie Le Breton, tante d'Alexandrine. Albert Delafosse était quant à lui le fils d'Aimée, et ainsi le cousin de Valentine et de Lucien Trevet. Il devient bel et bien artiste dramatique dans les années qui suivent. Sa mère et lui ont emménagé à Paris vraisemblablement à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe. Mme Dujardin, née Julie Trevet, était la soeur ainée d'Alfred Trevet, mari d'Alexandrine. Elle vivait dans les Yvelines. Marthe Mutel, fille d'Augustine Dujardin et petite-fille de Julie, resta proche de Valentine et de Lucien Trevet, au moins pour la décennie qui suivit. Ces personnes se sont a priori toutes connues, sans doute dans d'autres circonstances que celles choisies pour ce récit. Si certains éléments sont le fruit de mon imagination - je n'ai jamais pu visiter l'intérieur de la maison de la famille Trevet, si tant est qu'elle existe encore de nos jours -, je me suis tout de même efforcé de me rapprocher de la réalité. Les recettes proviennent de journaux des années 1880-1895 vendus dans les Yvelines. J'ai imaginé les jardins, le portail et le mobilier à partir de ce que laisse entrevoir une photo de la famille Trevet datée de 1894 et réalisée à domicile. S'il est certain que Valentine s'adonnait aux lettres, à la poésie et à la lecture comme en témoigne un objet généalogiquement fort précieux qui nous est parvenu, rien ne certifie qu'elle pratiquait la musique, si ce n'est que son futur mari Arsène Lehoux, ainsi que d'autres membres de cette famille dont mon grand-père Jacques Lehoux - qui était son petit-fils - en ont fait. Je donnerai à coup sûr une suite à ce rendez-vous, pour vous présenter Alfred et Lucien Trevet, père et frère de Valentine, ainsi que d'autres photos et documents me tenant particulièrement à coeur.
 
Parenté des protagonistes de ce récit - Archives personnelles à partir de recherches et de mon arbre généalogique
Il s'agit de ma troisième participation au rendez-vous ancestral, exercice mêlant écriture, fiction, généalogie, histoire, imagination... Un mélange d'histoire et d'écriture teinté de romanesque que j'affectionne particulièrement même si je n'ai pas forcément le temps d'y prendre part chaque troisième samedi du mois. Mes deux autres participations m'ont bien plu également. La première se déroule au cours de l'été 1905, dans le Sud, à la rencontre de mes ancêtres maternels. La seconde nous a permis d'embarquer à bord d'un bateau de pirates au Havre en 1816 et nous a fait découvrir la vie à bord d'un navire de l'époque. Je vous invite, pour les lire, à suivre ces liens : Un jour d'été à Rivel et Larguez les amarres. Je vous souhaite à toutes et à tous un excellent samedi. A bientôt !


2 commentaires:

  1. On voit que tu apprécies cette atmosphère du début du XXème siècle.
    Mais pourquoi ne pas te présenter à tes ancêtres ? Ils auraient sans doute été heureux de faire ta connaissance à l’occasion de ce #RDVAncestral.

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    1. Oui j'apprécie cette époque fin XIXe
      J'ai préféré ne pas me présenter à mes ancêtres car pour moi ces RDV sont l'occasion de découvrir une époque passée, mais ça ne m'inspire pas tellement de faire le lien avec le présent. Et ce serait difficile d'imaginer leur réaction.

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