lundi 23 avril 2018

L'étrange mort de Louis Alexandre Gallet

Le hasard m'a fait découvrir, en feuilletant les registres de Verneuil-sur-Seine dans les Yvelines, l'étrange mort de Louis Alexandre Gallet. S'il n'a pas de parenté avec ma famille, j'ai tout de même été suffisamment intrigué pour me pencher sur cette affaire. Rien de mieux qu'une brève et singulière enquête pour commencer la semaine !

Avant tout, je tiens à remercier la blogosphère généalogique ainsi que les personnes qui m'ont souhaité la bienvenue sur Twitter et qui ont lu ma première participation au rendez-vous ancestral. J'espère de tout coeur pouvoir participer au prochain, en mai. Cela dépendra de mon calendrier universitaire... J'en profite également pour remercier les lecteurs du monde entier qui sont venus sur mon journal ces deux derniers jours. Aujourd'hui, je tiens à vous faire part d'une mort suspecte dont j'ai eu connaissance par le plus simple des hasards, en parcourant les registres d'état-civil de Verneuil-sur-Seine, village des Yvelines situé à une bonne trentaine de kilomètres à l'ouest de la capitale. Un décès pour le moins intrigant...

Verneuil-sur-Seine - à gauche -  et ses environs - Carte de l'état-major (1820-1866) - Géoportail.gouv - LIEN

Automne 1847. La vie suit calmement son cours au bord de la Seine. Le village de Verneuil, à quinze kilomètres au nord de Saint-Germain-en-Laye, compte alors un peu plus de cinq-cents habitants, dont un certain Louis Alexandre Gallet. Né en 1782 dans la commune, cet homme déjà âgé, marié depuis quatre décennies avec Marie-Anne Sophie Jourdain, est père de trois enfants nommés Alexandrine, Jean-Baptiste et Louise. Tous trois ont quitté depuis plusieurs années le domicile parental et Louis Alexandre vit avec sa femme. Il subvient aux besoins du ménage en travaillant dans les champs bordant de part et d'autre le village. Jusque là, rien de bien extraordinaire. Et pourtant, le dimanche 10 octobre 1847, alors qu'elles rendent visite à leur père, Alexandrine et Louise Gallet, qui vivent à Paris, font une terrible découverte...

Il est trois heures de l'après-midi lorsque les filles du sieur Gallet arrivent à Verneuil, pour rendre visite à leurs parents qui vivent dans la Vieille rue. Parties le même jours de Paris où elles habitent, il leur tarde sans doute de revoir leur père. Mais alors qu'elles approchent de la maison, elles trouvent toutes les portes ouvertes. En ce début d'automne, il ne devait pas faire bien chaud dans le Bassin parisien. Surprises, elles entrent et cherchent leur père. Ce dernier ne répondant pas, et leur mère n'étant visiblement pas là, elles s'avancent vers le dernier endroit de la maison qu'elle n'ont pas fouillé, inquiètes. S'agirait-il d'un cambriolage ? De brigands ? Mais voilà qu'elles ne parviennent pas à ouvrir la porte menant à la minuscule pièce en question. Affolées, elles s'empressent d'avertir Jean-Baptiste Perrel, alors maire du village, qui se rend immédiatement sur les lieux. Accompagné des deux filles Gallet, il force la porte qu'il réussit à ouvrir et découvre une scène terrible, traumatisante, digne d'un roman policier.

Un enquêteur ou peut-être bien un policier arrive deux heures plus tard sur les lieux. Louis Alexandre Gallet, mort, est assis au bord d'une couchette de petite taille, à moitié étendu sur la paillasse, le matelas relevé de son dossier. Pour reprendre avec exactitude la description du rapport, le sieur Gallet a "les pieds à terre, le bras gauche pendant, le coude droit appuyé sur le bord du lit, la main sur le genou droit et la tête appuyée sur cette main". J'ignore si vous rencontrez le même problème, mais j'ai eu du mal à m'imaginer la position dans laquelle a été retrouvé Louis Alexandre Gallet. C'est non sans quelques hypothèses confuses que j'en ai déduit que la tête du sieur Gallet était en fait penchée vers le bas, de sorte qu'elle touchait la main appuyée sur le genou droit... Je n'ose imaginer l'effroi des filles Gallet...

D'autant que le décor se prête à cette lugubre découverte, si l'on en croit les mots de l'enquêteur : " [...] j'ai été introduit dans une petite chambre basse qui n'a d'autre issue que la porte par laquelle on entre et qui peut avoir deux mètres carrés environ." Deux mètres carrés... Je peine à visualiser cette pièce même si j'imagine ce que l'on ressentait quand on devait y entrer : ni fenêtre ni aération, l'obscurité, une étroitesse oppressante et une possible odeur de renfermé... Vu que Louis Alexandre Gallet était allongé, j'en conclus que la pièce était de forme rectangulaire et que ses dimensions avoisinaient les deux mètres de longueur pour un seul de largeur. Ou l'inverse, mais dans ce cas, le sieur Gallet devait être petit La porte devait se situer à l'une des extrémités, ou bien face à la couchette, dans cet espace qui semble davantage s'apparenter à un placard qu'à une pièce. Un endroit où l'on n'aimerait guère dormir...

La suite est surprenante. Entre les jambes de Louis Alexandre Gallet, une bouteille contient un reste d'eau-de-vie. Le corps, déjà froid, a pris une raideur cadavérique. D'après l'enquêteur, le visage est "bouffie, bleuâtre" et "des mucosités suintent par les narines." N'étant pas amateur du registre macabre et des descriptions cadavériques, je ne vais pas en rajouter. En deux mots, Louis Alexandre Gallet a été retrouvé la face enflée, bleuâtre, le nez ensanglanté. Sans être expert, je pense ne pas trop m'avancer en affirmant que le visage est devenu bleu à cause d'une éventuelle asphyxie. Et effectivement, des pots de terre, trois pour être exact, contenant des résidus de charbon brûlé, ont été retrouvés juste devant le cadavre. Meurtre ? Accident ? Et bien non... Si les filles Gallet ont eu du mal à ouvrir la porte de ce recoin, c'est tout simplement parce que leur père l'avait "calfeutrée en dedans avec les guenilles."

Je vous laisse deviner la conclusion de l'enquêteur : un suicide. "De tout ce qui précède, je conclus que la mort du sieur Gallet Louis Alexandre est le résultat d'un suicide et qu'elle a eu lieu par asphyxie." Cela semble à mes yeux presque certain. Il n'y avait en effet aucune autre issue que la porte calfeutrée de l'intérieur, pas de fenêtre. Et Louis Alexandre avait dû boire une grande partie de la bouteille d'eau de vie, avant de s'asphyxier avec la fumée de charbon. L'enquête est officiellement terminée, en deux heures... Pour autant, les raisons de ce suicide ne sont pas connues et deux éléments m'intriguent. En premier lieu, je me suis demandé si les portes de la maisons "toutes ouvertes", l'avaient été par Louis Alexandre Gallet, et dans quel objectif ? Peut-être pour qu'on le retrouve facilement. Ou pour ne pas que l'odeur de charbon brûlé rende l'atmosphère de la maison irrespirable... Enfin, et cet élément m'a particulièrement interloqué : il n'est aucunement fait mention de Marie Anne Sophie Jourdain, l'épouse de Louis Alexandre, qui vivait pourtant avec lui. Elle n'était pas avec ses filles, ni à leur arrivée, ni au moment où accompagnées du maire, elles ont découvert le cadavre de leur père...

Extrait de l'acte de mariage Gallet / Jourdain - 14 mars 1807 - Verneuil-sur-Seine - Archives des Yvelines

Louis Alexandre Gallet savait écrire si je m'en réfère à son acte de mariage où il signe d'une écriture correcte. Aurait-il laissé une lettre ? Des explications ? Une question demeure... Pourquoi cet homme, âgé de la soixantaine, s'est-il suicidé, laissant une veuve et trois enfants fort probablement traumatisés ? Je me suis demandé s'il était dépressif ou alcoolique, ce que nous ne pourrons évidemment pas déterminer, du moins à partir des documents accessibles en ligne. Une autre théorie plus probable est celle de possibles dettes et difficultés financières. Louis Alexandre Gallet travaillait encore, à soixante-cinq ans passés, comme journalier. Sa vie ne devait pas être simple tous les jours. Je n'ai pas trouvé d'éventuels actes notariés et testament dans les répertoires des registres notariaux de Triel-sur-Seine. La presse locale ancienne numérisée ne débute malheureusement qu'à partir de 1848 et même sur Gallica il n'y a rien à propos de cette sombre histoire... Les recherches généalogiques ont aussi leurs limites.

Cette affaire a dû préoccuper les Vernoliens - habitants de Verneuil-sur-Seine - puisqu'il s'agit du seul et unique décès de la commune pour le mois d'octobre 1847. Quant à Marie Anne Sophie Jourdain, l'épouse de Louis Alexandre Gallet, elle vécut à Verneuil jusqu'à sa mort en 1864, dix-sept ans plus tard, et ne se remaria pas. Des trois enfants de Louis Alexandre, je n'ai retrouvé la trace que de la fille ainée, Alexandrine, qui vivait apparemment toujours à Paris plusieurs années après le drame. Louis Alexandre Gallet vivait dans la Vieille rue, mais si j'en crois le recensement de 1851, le nom de la rue a changé entre temps. Les répertoires que l'on trouve dans les matrices cadastrales ne m'ont pas offert davantage de renseignements. Mais je suppose que toute histoire doit garder sa part de mystère. Je vous laisse découvrir le bref rapport d'enquête.

Rapport d'enquête - Verneuil-sur-Seine - Archives des Yvelines

Ce document est consultable aux cent soixante-treizième et cent soixante-quatorzième pages du registres de Verneuil-sur-Seine couvrant la période 1839-1855, après les tables alphabétiques de l'année 1847. La côte du document est la suivante : 1134360. Le rapport n'est pas très bien écrit, aussi j'ai réalisé une transcription en ralentissant légèrement le rythme - dans le texte original les phrases sont beaucoup trop longues - sans évidemment modifier quoi que ce soit. Transcription : "Aujourd'hui dix octobre mil huit cent quarante-sept à cinq heures de relevée. Je soussigné, certifie que sur la réquisition de Monsieur le Maire de Verneuil, je me suis transporté dans la dite commune pour y constater la mort du nommé Gallet Louis Alexandre, âgé de soixante-cinq ans, journalier. Arrivé sur les lieux j'ai été introduit dans une petite chambre basse qui n'a d'autre issue que la porte par laquelle on entre et qui peut avoir deux mètres carrés environ. J'y ai trouvé le dit Gallet assis le bord d'une petite couchette dont le matelas était relevé sur le dossier. Il était sur la paillasse, les pieds à terre, le bras gauche pendant, le coude droit appuyé sur le bord du lit, la main sur le genou droit et la tête appuyée sur cette main. Trois pots de terre sont devant lui, ils contiennent le résidu de charbon brûlé. Une bouteille entre les jambes, elle contient encore environ 60 grammes d'eau-de-vie. Le corps est déjà froid, la face est bouffie, bleuâtre ; des mucosités sanguinolentes suintent par les narines. Il y a déjà un peu de raideur cadavérique. Il paraît que ce n'est que vers trois heures de relevé, que les filles du-dit Gallet, qui habitent ordinairement Paris et qui sont venues pour le voir, ont trouvé les portes de la maison ouvertes et ne voyant pas leur père, elles ont été pour ouvrir celle de cette chambre basse et y ayant trouvé de la résistance, elles ont été chercher Monsieur le Maire, qui s'y étant transporté de suite a poussé la porte qui ne présentait de résistance que parce qu'elle était calfeutrée en dedans avec des guenilles. De tout ce qui précède je conclus que la mort du sieur Gallet Louis Alexandre est le résultat d'un suicide et qu'elle a eu lieu par asphyxie. Fait à Verneuil les jours, mois et an que dessus. Signatures"

1847 fut aussi une année éprouvante pour certains de mes ancêtres qui vivaient alors à Verneuil-sur-Seine et juste à côté, à Médan. Je suis actuellement entrain d'enquêter sur ces événements dont je ne vous parlerai pas pour le moment, étant en pleine recherche. Nul doute que la mort de Louis Alexandre Gallet, même s'il ne leur était pas apparenté et qu'il ne vivait pas dans leur rue, les a choqués. En parlant des Yvelines, j'en profite pour adresser mes sincères remerciements au personnel des Archives de ce département, qui m'apporte une aide précieuse dans mes recherches. Leur plateforme en ligne est l'une des meilleures de France avec celle de la Seine-Maritime, tant par la richesse que par la diversité des fonds qui sont proposés. Si tous les départements, notamment ceux du Sud-Ouest, faisaient de même, ce serait magnifique ! Finissons avec le projet RAR - Relevés anecdotiques des recensements - que je poursuis, seul pour le moment. J'ai terminé la première étape - dix-huit familles au total - du relevé des anecdotes du recensement de Carcassonne en 1851 dont je vous ai parlé il y a un peu plus d'un mois déjà, et j'en ai rajouté un autre concernant les hommes de la commune de Vernouillet, dans les Yvelines, répertoriés dans le registre civique du district de Saint-Germain-en-Laye de 1791. Ce projet est évidemment ouvert à tous les blogueurs généalogistes amateurs. Son principe : relever toutes les anecdotes présentes dans les recensements de population, les familles qu'elles concernent, mais aussi tous les recensements qui sortiraient de l'ordinaire, comme celui de 1791. Et ce dans le cadre de l'entraide généalogique, pour aussi trouver de nouvelles idées d'articles.

Je vous laisse avec cette gravure sur le thème très réjouissant du suicide - on aborde tous les sujets en généalogie - en espérant que cette enquête vous a intéressé autant que moi. A bientôt !


Condorcet commits the Act of suicide [...] - Alexandre Fragonard et Giacomo Aliprandi - Gravure - 1803 - BNF (Gallica) - LIEN

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