dimanche 7 juillet 2019

Histoire de la famille Bonnet : Puivert, de drôles de surnoms et la légende du dragon de Terni

L'été est enfin là et pour être honnête, je suis de ceux qui apprécient les fortes chaleurs. Mais ce sont paradoxalement les confins septentrionaux de l'Europe que je suis allé découvrir en juin, pour mon anniversaire. Plutôt habitué à l'Espagne toute proche de mon Languedoc-Roussillon - oui, j'ai du mal avec les nouvelles régions... - les lointaines contrées islandaises m'ont à la fois envoûté et dépaysé. Comment ne pas l'être, entouré d'une nature saisissante où s'enchaînent des paysages énigmatiques et lunaires, volcaniques et majestueux, le tout cerné par une omniprésente mer sombre ? J'ai par ailleurs eu l'opportunité de visiter l'Écosse, de retourner en Angleterre : en somme, ce voyage a été une réussite et j'aurais aimé le prolonger davantage même si je suis déjà chanceux d'avoir pu l'entreprendre. L'ambiance légendaire que l'on ressent aisément aux Highlands ou à Snaefellsnes m'a suffisamment marqué pour que je veuille, d'une manière ou d'une autre, aborder le thème des légendes dans un article. N'ayant a priori pas d'ascendance viking proche, si ce n'est une ancêtre éloignée de mon arrière-arrière-grand-mère normande dont le patronyme dériverait du norrois, j'ai pensé qu'il ne serait pas inintéressant de consacrer mes prochaines recherches aux aïeuls de Marie-Vincentine Bonnet, grand-mère paternelle de ma mère, issue de vieilles familles du Kercorb, une région perdue à l'extrémité sud-ouest de l'Aude et où il y a peu encore, les habitants enclins à la superstition croyaient en toutes sortes de légendes...

Jean Bonnet (1843-1926) - quadrisaïeul - Photographies familiales*
Jean Bonnet, arrière-grand-père de mon grand-père, dernier des cinq enfants de Jean-Baptiste Bonnet et de Magdeleine Boulbès, naît au début de l'automne 1843 à Campeille, sur les hauteurs de Puivert. Pour l'anecdote, son unique soeur Pétronille, partie à Sète, est la principale protagoniste d'un rendez-vous ancestral écrit il y a quelques mois. Sept autres familles* vivent en ces lieux reculés, à savoir les Débat, les Rivals, les Danjou, les Verdier, les Peille, les Saurel et les Plantier - ces noms sonneront sans aucun doute familiers pour ceux des lecteurs qui connaissent la région. - Un cadre anodin pour le moment, j'en conviens, hormis l'étonnant surnom par lequel est désignée Magdeleine Boulbès. Si l'un d'entre vous connaît la signification du terme "Fouasseau", je suis preneur car je n'ai pour ma part qu'une seule hypothèse plausible. Fouasseau rappellerait plus ou moins le mot fouassier, lui-même variante de fouacier ou fabricant de fouace/fouasse, une sorte de large couronne de pain brioché parfumée à la fleur d'oranger, à laquelle des rillettes ou des fruits confits étaient parfois même ajoutés - j'écris cela à minuit, évidemment, la faim me tenaille maintenant ! - Si je m'en réfère aux renseignements piochés par-ci par-là, cette recette serait typique des montagnes du Rouergue et de l'Auvergne, il en aurait également été retrouvé dans les environs d'Albi, à une large centaine de kilomètres à vol d'oiseau au nord du Kercorb. Notons qu'à l'instar de sa voisine Rivel - un autre berceau des Bonnet -, Puivert est nettement plus sujette aux rigueurs des hivers montagnards que Chalabre et la région limouxine. Seuls les massifs calcaires du Plantaurel, contreforts des Pyrénées, protègent un tant soit peu le village des hivers pyrénéens. Il me semble dès lors tout à fait envisageable d'imaginer Magdeleine Boulbès préparer la pâte, les soirs d'hiver, puis faire cuire sous la cendre des fouasses pour ses proches, fouasses qui pouvaient se conserver en bon état plus d'une semaine. L'étymologie latine du mot foassa renverrait même à la cuisson particulière du pain sous la cendre. Je me plais à croire que mon arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère - ou quinquisaïeule, pour abréger - Magdeleine Boulbès, mère de Justin, de Pierre, de Pétronille, de Baptiste et de Jean Bonnet devait préparer d'excellentes fouasses pour recevoir ce surnom*.

Le château de Puivert au crépuscule - Photographie provenant du blog de ma mère - LIEN

Les fouasses sont par ailleurs mentionnées dans les journaux destinés aux pâtissiers biscuitiers et aux boulangers jusqu'à la fin du XIXe siècle. Ainsi lit-on, dans les documents historiques de la pâtisserie française, la description suivante : "[...] ils fabriquaient également des fouaces, sortes de pains faits de fleurs de farine, en forme de galettes et ordinairement cuits sous la cendre." Si la recette semble à première vue alléchante, tel n'est pas l'avis des docteurs, dans un traité d'hygiène sur les paysans, selon lesquels : "Dans beaucoup de pays, les jours où l'on boulange, on mange de la fouace ; c'est un morceau de pâte incomplètement levée que l'on jette sur la tôle du four et que l'on mange bouillante, avec ou sans beurre, trempée dans du lait ou du vin. Cet usage est encore plus dangereux que celui de manger du pain chaud ; ordinairement, après un semblable repas, on est obligé de boire beaucoup ; la pâte mal levée fermente dans le corps, et les estomacs les plus complaisants sont quelquefois durement éprouvés à la suite d'un déjeuner composé de fouaces." Ces propos sont toutefois très généraux et l'hypothèse de la recette montagnarde apparaît plus crédible. Mon ancêtre pourrait simplement avoir eu un penchant pour la gourmandise. Après tout, j'ai toujours vu mon grand-père manger quantité de gâteaux et je crois que cela s'est transmis... Nous avons désormais éclairci le mystère qui planait autour du surnom de mon ancêtre, mais d'autres éléments paraissent quelque peu étonnants, à commencer par les toponymes locaux. 
 
Carte générale de la France, Montlluís-Mosset, montrant les hameaux situés près de Puivert - 1781 - Provient de la BNF - LIEN - et situation géographique de Puivert dans le monde ouest-méditerranéen
Si certains lieux-dits tels Campferrié, Campsadourny et Campsylvestre se réfèrent directement aux familles locales, d'autres en revanche semblent plus étranges. Camp-Barberouge, Camp-Bounalire ou les Arnoulats revêtiraient à coup sûr une dimension légèrement exotique pour un visiteur étranger à la région et à ses drôles de coutumes toponymiques. Mes ancêtres vécurent au moins dans deux de ces camps, au XIXe siècle à Campeille et plus antérieurement à Campserdou. Le premier est d'ailleurs mentionné dans l'Histoire de la terre privilégiée - comprenez par là le Kercorb chalabrois - de Casimir Pont. En voici un passage : "C'est également en côtoyant la rive droite du Blau, passant par Villefort, que les Chalabrois gagnaient le donjon de Puivert. Pour venir de ce dernier point sur Rivel, il fallait tout d'abord gravir la côte de Campeille, traverser les bois de chêne qui couvrent les hauteurs de Mouiche, longer la fameuse plaine des Roupudés, de glorieuse mémoire ; puis descendre en droite ligne dans les bas-fonds de la Ruero, par une pente très rapide, rude [...]" Jean Bonnet vécut ainsi son enfance entouré de chemins escarpés et de chênes centenaires. Dernier de la fratrie, il ne connut que très peu sa grand-mère maternelle Anne Cassagnaud, qui s'était installée à Rivel et que les Bonnet devaient vraisemblablement aller voir en passant par le chemin que décrit Casimir Pont, dans le sens inverse. Ironie du sort, le sentier continue jusqu'à l'église Sainte-Cécile de Rivel et passe près de la propriété du Marais*, dont Jean Bonnet héritera bien des années plus tard de la famille de sa future épouse Marie Lagarde, et qu'il transmettra à ses petites-filles Marie-Vincentine - mon arrière-grand-mère - et Jeanne Bonnet.

Cascade of Terni - 1797-1799 - Estampe - J. Mérigot - Provient de la BNF - LIEN
Dès les premières années du XIXe siècle et même avant, les membres de la famille Bonnet vivaient à Campeille. Leur généalogie s'y est enracinée sur plusieurs générations, à l'image des chênes qui bordent le vieil hameau. Pour autant, la toponymie est loin d'être le seul élément exotique dans la mosaïque de noms que mettent en lumière des recherches approfondies sur cette famille. Je peine à en déterminer les origines, mais le grand-père paternel de Jean Bonnet, né à la fin des années 1750, se nommait Volusien Boulzia. S'il fut aussi quelquefois appelé Jean Volusien ou Jean Boulzia, rien ne permet à première vue d'expliquer l'attribution de tels prénoms. Le seul autre Volusien à ma connaissance n'est qu'un éphémère empereur romain du IIIe siècle, Gaius Vibius Volusianus, qui ne serait visiblement pas lié au Kercorb. Je vous ai cependant fait part de mon désir d'associer à cet article une dimension légendaire, pour rester dans la continuité des impressions de mes voyages. Or, la barrière entre histoire et généalogie est selon moi bien souvent ténue, et celle entre histoire, mythologie et légendes peut l'être tout autant. C'est ainsi que les recherches visant à déterminer les origines des prénoms peu communs de mon ancêtre m'ont mené jusqu'à la ville d'Interamna, aujourd'hui Terni, située à une centaine de kilomètres au nord de Rome et où mourut l'empereur Volusien en août 253. Pour l'anecdote, Saint-Valentin y est né en 176. Mon intérêt s'est plus particulièrement porté vers la légende la plus connue de la ville ombrienne, celle de Thyrus, le terrible dragon qui terrorisait les habitants de Terni. L'ombre menaçante de cette vilaine créature planait sur la ville et sa seule évocation suffisait à décourager les plus valeureux guerriers. Mais au moment où les habitants s'apprêtaient à se résigner, un jeune homme noble se porta volontaire pour vaincre le dragon. Il reçut la bénédiction des anciens et trouva la bête endormie. Malheureusement, le dragon se réveilla et la bataille s'engagea au profit du monstre. Alors que le brave jeune homme était à la merci du dragon, son armure refléta un opportun rayon de soleil, aveuglant par la même occasion Thyrus. L'héroïque guerrier en profita pour terrasser l'infâme dragon d'un coup de lance, sous les yeux médusés des habitants de Terni. Des fêtes furent organisées plusieurs jours durant, et l'on récompensa le jeune héros en lui offrant les terres du dragon Thyrus. De nos jours, les armoiries de la ville gardent une trace du dragon. Il me parait important de retranscrire, de partager et de faire connaître ces légendes folkloriques dont nous n'entendons que bien trop peu parler et ce même dans les cours universitaires qui ont à mon goût et de ce que j'en ai constaté une fâcheuse tendance à ne se centrer que sur certains aspects historiques - religions, politique... - et délaissent une infinité d'éléments passionnants et beaucoup moins rébarbatifs. Pour en revenir à la généalogie de la famille Bonnet, il m'a semblé judicieux de raconter en détail la légende du dragon de Terni pour souligner, et je crois vous en avoir déjà parlé, la propension à la superstition des habitants du Kercorb et plus généralement du monde méditerranéen. Mon arrière-grand-mère Marie-Vincentine Bonnet, qui vécut pourtant au XXe siècle, était restée particulièrement attachée à diverses peurs et traditions aux origines lointaines. Aussi craignait-elle que de malveillants voisins ne lui jetassent un mauvais sort, peut-être même une malédiction. Elle évitait d'ailleurs certains lieux, considérés comme hantés ou porte-malheurs, et éloignait les mauvais esprits par diverses ruses - en pendant tel ou tel objet -, ruses que j'ai été surpris de retrouver de nos jours encore lors d'un voyage en Italie à Naples. Je suis curieux d'en apprendre davantage sur ces croyances mystiques et sur les étroits rapports que semblaient entretenir avec elles nombre de peuples méditerranéens, à l'instar de mon arrière-grand-mère. Et puis, n'est-il pas agréable de se cultiver en recherchant ses ancêtres ?

Descendance partielle et simplifiée de Volusien Boulzia Bonnet - Recherches personnelles
J'aurais aimé poursuivre cet article et remonter les diverses générations de la famille Bonnet mais il me manque pour le moment un acte et il est plutôt tard - j'ai pour ma part l'habitude d'écrire en soirée. - Quelques petites précisions signalées par les astériques : la photographie de Jean Bonnet a été identifiée il y a quelques années par son arrière-petit-fils, mon grand-père maternel, fils de Marie-Vincentine Bonnet. Les sept autres familles voisines des Bonnet me sont connues grâce aux recensements de Puivert des années 1836 et 1846.  Magdeleine Boulbès était surnommée Fouasseau et les surnoms n'ont rien d'inhabituel dans cette région. La propriété du Marais, située sur les hauteurs de Rivel, appartenait à la famille Lagarde, dont Jean Bonnet épousa l'une des descendantes. Leurs petites-filles Marie-Vincentine et Jeanne Bonnet en héritèrent. Si vous souhaitez en apprendre davantage sur la ville de Terni et que vous lisez l'italien, je vous invite à consulter Storia di Terni de Francesco Angeloni. Un rendez-vous ancestral a été consacré à Pétronille Bonnet. Je vous souhaite un excellent mois de juillet. Tant que j'y pense, les photos de mes voyages seront peu à peu publiées sur mon profil Instagram.

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