lundi 19 mars 2018

Carcassonne : du recensement de 1851 à la petite histoire de la rue Saint-Michel

En ce dimanche maussade et pluvieux, je me suis lancé dans une hasardeuse exploration des recensements de la ville de Carcassonne. Je vous propose de découvrir quelques singularités et anecdotes sur ses habitants en 1851. Carcassonne, connue mondialement pour sa cité médiévale, revient plusieurs fois dans ma généalogie, et ce à différentes générations. Mes parents et certains de mes ancêtres y ont vécu et je connais relativement bien cette ville historique qui est la préfecture de l'Aude. 


Une partie de la Cité de Carcassonne - Photographie personnelle


Ce n'est pas tellement motivé par la découverte d'éventuels renseignements sur mes ancêtres que j'ai feuilleté les centaines de pages des deux recensements de 1851, mais plutôt pour développer un projet généalogique collectif qui m'est venu à l'esprit lorsque j'ai découvert que l'une de mes ancêtres était aveugle. Il faudrait que je vous raconte cette histoire un jour d'ailleurs. Les recensements de l'année 1851 s'avèrent, du moins suite aux constatations que j'ai faites de mes propres recherches, riches en remarques, détails et anecdotes divers et variés, de sorte que j'en suis venu à me demander pourquoi nous, généalogistes amateurs, ne les consignerions pas pour créer des bases de données qui pourraient éventuellement permettre à chacun de découvrir un détail insoupçonné sur ses ancêtres. Il s'agit d'un projet titanesque, impossible à réaliser seul. J'ai en conséquence décidé de me consacrer aux communes qui reviennent fréquemment dans ma famille. 


 Un projet d'entraide généalogique collectif et participatif

 

Je ne sais pas si des projets de ce type, concernant les renseignements anecdotiques et surtout facultatifs des recensements de population, existent déjà. L'idée me paraît intéressante et motivante sur le long terme. Et j'espère sincèrement que lorsque ce journal aura une portée plus étendue dans la sphère généalogique, le projet intéressa les généalogistes amateurs blogueurs.  Lors de mes recherches, et je pense que c'est également le cas de la plupart d'entre-vous, j'ai feuilleté laborieusement des centaines et des centaines de pages de recensements du XIXe siècle principalement, à la recherche d'éléments nouveaux. Souvent, les informations livrées ne m'ont pas apporté grande satisfaction car je les connaissais déjà. Parfois, certains ancêtres étaient atteints d'infirmités ou de maladies graves, vivaient loin et séparés de leur famille ou étaient nés à l'étranger, de parents inconnus, ect. Ces éléments sont d'une grande importance pour l'enrichissement d'un arbre généalogique et permettent également de trouver l'inspiration pour un article.

Mon premier objectif est de lister les découvertes faites dans le dénombrement de 1851 de Carcassonne et d'accompagner d'informations complémentaires tirées de l'état-civil les quelques éléments relevés. Les relevés seront disponibles sur une page qui leur sera entièrement dédiée et je vous tiendrai au courant des nouveautés. Le premier relevé concerne cent pages du dénombrement (Lisses hautes, Rue Saint-Michel, Mairie, Rue du 24 février et Rue Napoléon en partie) et sera d'ici peux détaillé sur la page puis complété par la suite.


Première page du recensement de 1851 - 102NUM/6M83/1 - Archives en ligne de l'Aude

 

Les premiers résultats : des infirmités et des servantes sans nom

 

Les infirmités représentent les anecdotes les plus régulièrement mentionnées. Les conditions de vie n'était autrefois pas très bonnes et il n'était pas rare que nos ancêtres gardent des séquelles physiques des maladies dont ils étaient victimes. Le terme boiteux revient si souvent que j'ai décidé de ne plus le recenser dès la quarante-sixième page. Cependant, certains individus ont eu davantage de malchance encore et ont été affectés par d'étranges maux. D'autres n'avaient même pas de nom ou de prénom.

Antoinette GAZEL

Domiciliée au 48 rue Saint-Michel, Antoinette Gazel est à priori une vielle dame comme on en trouve si souvent dans nos recherches : mère de famille, grand-mère, sans profession particulière. Et pourtant, cette dame n'a pas été bien chanceuse et a été atteinte d'idiotisme dans les dernières années de sa vie. Antoinette vivait avec son mari, Jean Montahuc, ancien plâtrier, leur fille Appolonie, 30 ans et veuve Bons, et les deux enfants récemment nés de cette dernière, Antoinette et Bernard Bons. La famille vivait apparemment du revenu de Jean Montahuc.


Trentième page du recensement de 1851 - 102NUM/6M83/1 - Archives en ligne de l'Aude

Le terme idiotisme n'est pas forcément simple à définir. Il pourrait faire référence à un retard mental présent depuis la naissance tout comme à des troubles apparus avec la vieillesse. Bien qu'âgée d'environ soixante dix ans, Antoinette Gazel aurait probablement pu être atteinte de sénilité ou de pertes de mémoire. Je ne pense pas que nous puissions en savoir davantage à partir de simples suppositions, à moins qu'il y ait eu une définition précise du terme "idiotisme" dans les années 1850, ce que je n'ai pas pris la peine de chercher. J'ai par contre retrouvé son acte de décès. Quelque temps après le recensement, plus exactement le 14 septembre 1852, Antoinette Gazel décède à son domicile selon les déclarations faites par son fils le lendemain. Son mari avait alors repris son ancienne activité de plâtrier. Elle était certes âgée mais pas si vieille que cela. Sa maladie s'était-elle empirée ?


Extrait de l'acte de décès d'Antoinette GAZEL en date du 15 septembre 1852 - Carcassonne - Archives en ligne de l'Aude
 Transcription : "[...] lesquels nous ont déclaré que Antoinette Gazel, sans profession, âgée de soixante et onze ans, épouse de Jean Montahuc, plâtrier, fille de défunt Jean Gazel, brassier, et de Antoinette Vivier, son épouse, sans profession, née et domiciliée dans cette commune, y est décédée hier à six heures et demie du soir, rue Saint-Michel, numéro quarante-huit."

La famille vivait ainsi toujours au 48 rue Saint-Michel. Je me suis demandé si cette rue existait toujours dans l'actuel centre-ville de Carcassonne. Affirmatif, mais sous un autre nom ! De nos jours, la rue nommée Saint-Michel, moderne, n'est pas située dans le centre-ville et n'est certainement pas le lieu où Antoinette Gazel vécut à la fin de sa vie. Je savais que la rue en question était proche de la rue de la Mairie car elles se suivent dans le recensement. Saint-Michel, c'est avant tout la cathédrale construite sur ordre de Saint Louis au XIIIe siècle. Endommagé comme toute la ville par le Prince Noir et sa terrible armée, l'édifice connaît un nouveau sinistre en novembre 1849 lors de travaux.

Coupe du Plan de la ville de Carcassonne par E. Roudière - 1893 - Provient du site de la BNF (Gallica) - LIEN
Revenons-en à mes recherches : après avoir eu confirmation par ma mère qui a vécu à Carcassonne que l'on nomme parfois encore "quartier Saint-Michel" les rues situées près de la cathédrale et au vu de la proximité avec la rue de la Mairie, j'en ai déduit que les Montahuc vivaient dans l'actuelle rue Voltaire. Il s'agit pour moi d'une certitude. La rue Saint-Michel et la rue Voltaire sont un seul et même endroit. Mais en recherches généalogiques et historiques, il est judicieux de consolider nos hypothèses en croisant les informations connues avec d'autres renseignements provenant de nouvelles sources.

Coupe du Plan de la ville de Carcassonne par Combeléran-Soulet - XIXe siècle - Provient du site de la BNF (Gallica) LIEN

Ce plan, datant également du XIXe siècle, est probablement antérieur au premier qui lui a été réalisé en 1893. Et surprise : la rue Saint-Michel est bien là, à l'emplacement exact de l'actuelle rue Voltaire ! Mon intuition était bonne. J'ai symbolisé en rouge la rue Saint-Michel / Voltaire et en bleu la rue de la Mairie. Toutes deux sont situées près de la cathédrale et de la porte des Jacobins. Cette imposante porte remplace d'ailleurs depuis le XVIIIe siècle, si je ne m'abuse, l'ancienne porte Saint-Louis. Est-ce en rapport avec la construction de la cathédrale Saint-Michel ordonnée par ce même roi ? La rue Saint-Michel est ancienne et certains de ses bâtiments dateraient du XIIe siècle. Je vous invite à lire un article de la Dépêche à propos de l'ancienneté de cette rue et des découvertes récentes qui y ont été faites lors de travaux.

Revenons à Antoinette Gazel sans qui je n'aurais jamais pu mener cette recherche passionnante dans le vieux Carcassonne. J'ai appris en vérifiant le registre lors de la rédaction même de cet article que son mari, Jean Montahuc, est lui aussi décédé en 1852.

Acte de décès de Jean MONTAHUC, en date du 20 octobre 1852 - Carcassonne - Archives en ligne de l'Aude

Transcription : "L'an mil-huit-cent-cinquante-deux et le vingt octobre à dix heures du matin, par devant nous Louis Edouard Bosc, Maire officier de l'état civil de la ville de Carcassonne, département de l'Aude, chevalier de Légion d'honneur, ont comparu les sieurs Marc Montahuc, plâtrier, âgé de quarante-quatre ans, fils du défunt bas nommé, et Joseph Bac, carillonneur, âgé de soixante-quatre ans, voisin, domiciliés dans cette commune, lesquels nous ont déclaré que Jean Montahuc, ancien plâtrier, âgé de soixante-douze ans, veuf de Antoinette Gazel, sans profession, fils de défunts Bernard Montahuc, tisserand, et de Marie Cazajou, son épouse, sans profession, né et domicilié dans cette commune, y est décédé hier à quatre heures et demie du soir, rue Saint-Michel, numéro quarante-huit. De quoi avons dressé acte, que nous avons signé, après lecture faite, avec l'un des déclarants, l'autre ayant dit ne savoir."

Si j'ai pris la peine de transcrire la totalité de cet acte, c'est avant tout pour mettre en avant l'un des témoins, Joseph Bac, qui n'est autre qu'un voisin de Jean Montahuc. Sa famille a également retenu mon attention dans le recensement de 1851. Par ailleurs, Joseph, qui était carillonneur à l'automne 1852, devait a fortiori, vu qu'il vivait lui aussi dans la rue Saint-Michel, travailler à la cathédrale du même nom où il était chargé de faire sonner les cloches. Ci-dessous une jolie photographie de carillonneurs datée de 1924, trouvée en furetant dans les recoins de Gallica.


Un carillon : [photographie de presse] / [Agence Rol] - 1924 - Photographie de carillonneurs - Provient du site de la BNF (Gallica) - LIEN

Jean BAC

Joseph Bac et son épouse Anne Gairaud vivaient au 42 rue Saint-Michel avec trois de leurs enfants, Jean, Laurent, Marguerite, et le fils de cette dernière, Pierre Carbou. Au moment du recensement, en 1851, Joseph n'est pas carillonneur mais tisserand. Son activité n'est apparemment pas très stable puisqu'il change littéralement de profession en moins d'une année. Il s'agit cependant d'un fait relativement commun, notamment dans la première moitié du XIXe siècle. Souvenez-vous de mon ancêtre Marie-Angélique Leroy, qui après avoir été marchande perruquière pendant des décennies est devenue baleineuse à soixante-dix ans passés !

Hormis ce changement de profession et l'absence de l'époux de Marguerite, rien ne semble inhabituel dans la situation de la famille. Et pourtant, à vingt-trois ans à peine, Jean Bac, le fils de Joseph et d'Anne, souffre d'une infirmité aux deux jambes. Il réussit cependant à travailler avec son père puisqu'il est lui aussi tisserand. Je me suis interrogé sur l'avenir de ce jeune homme. Pouvait-il travailler seul et sans assistance ? Comment se déplaçait-il ? Ses problèmes de santé se sont-ils aggravés avec le temps ? Souhaitant poursuivre mon étude des recensements carcassonnais, je pars à la recherche de la famille Bac au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, et même plus ! Je n'ai malheureusement pu consulter que les registres de 1901 et 1906...



Cinquante ans sont passés entre le recensement d'origine et le suivant. Quelques changements pour la rue qui a été rebaptisée Voltaire. Le numéro n'est pas tout à fait identique non plus mais je ne pense pas qu'il y ait eu de déménagement de la famille Bac. En parlant d'eux, justement, quelle surprise de constater que le seul dont on retrouve la trace est Jean, dont les problèmes de jambes ne sont même plus mentionnés ! Toutefois, aucune profession ne lui est connue, et pour cause : en 1901, il avait dépassé les soixante-dix ans. Quelle surprise quelque peu fortuite de retrouver, un demi-siècle plus tard, la trace d'un individu quasiment au même endroit ! Quant au reste de la famille Bac, que sont-ils devenus ? Jean et Antoinette ont-ils eu des enfants ?

Extrait de l'acte de mariage de Jean BAC en date du 16 septembre 1863 - Carcassonne - Archives en ligne de l'Aude

L'acte de mariage de Jean Bac nous apprend qu'il a exercé la profession de menuisier. Son infirmité ne devait donc pas être si sévère que ça. En 1865, il exerce la même profession que son père quinze ans plus tôt : carillonneur, sans doute à l'église Saint-Michel. Il était donc capable de monter et descendre quotidiennement les escaliers en colimaçon pour accéder aux cloches. Jean et Antoinette auront deux fils : Jean-Louis, que l'on retrouve à Marseille, rue Paradis, dans les années 1890, et Joseph Justin, qui meurt peu de temps après sa naissance. Le 31 décembre 1868, Jean Bac est menuisier, le 22 octobre 1869, carillonneur. Ainsi, non seulement Jean pouvait se déplacer, mais il alternait même deux boulots différents !

La démarche que j'ai menée dans cet article présente trois manières d'utiliser les listes nominatives de recensement mais aussi comment se servir des plans, cartes et autres sources disponibles sur Gallica :
  • montrer qu'à partir d'un individu pris au hasard dans un recensement, il est possible de reconstituer en partie l'histoire d'une famille et d'une rue ;
  • mettre en lien les habitants avec leur lieu de vie : par exemple, les hommes de la famille Bac qui étaient carillonneurs ;
  • analyser les données anecdotiques recueillies pour en apprendre davantage et séparer le vrai du faux : lors de ma première lecture, je croyais l'infirmité aux jambes de Jean Bac suffisamment importante pour l'empêcher de travailler. Or, divers actes m'ont appris qu'au contraire, il exerçait deux professions différentes. 
Si la petite histoire des villes françaises vous intéresse, je vous invite à lire mon précédent article :  Une neige "extraordinaire" recouvre Dieppe !  ou, si vous préférez les reconstitutions d'ascendances, le premier épisode des aventures de la famille Troche au pays de Caux, dont la suite sera publiée, je l'espère, dans les deux prochaines semaines. Enfin, ma présentation est consultable ICI.

Les recherches réalisées dans les premières page du dénombrement de 1851 m'ont fait connaître d'autres histoires, toutes aussi intéressantes les unes que les autres. En parallèle de la rédaction d'un nouvel article et de la préparation du second épisode des aventures de la famille Troche, je travaille à la création et à l'enrichissement de la page consacrée au projet de recensement dont je vous ai parlé au début de cet article. Avec un peu de chance, tout devrait être disponible pour le début d'avril.

Pour conclure, je vous propose de découvrir un véritable trésor trouvé sur Gallica. 

Dessin représentant Carcassonne en 1462 - Auteur inconnu - Provient du site de la BNF (Gallica) - LIEN


Je vous remercie pour votre lecture et vous souhaite une très bonne journée !



N.B. :
 -Les références des documents utilisés dans cet article sont indiquées ainsi que les liens qui mènent aux sites m'ayant permis de les retrouver. Je remercie particulièrement le magnifique travail de la BNF et vous recommande son site Gallica. Les documents que j'ai utilisés appartiennent au domaine public.
-Certaines parties de mon ascendance maternelle m'ont mené à Carcassonne au XIXe siècle principalement : je pense aux recherches sur les familles Vassal, Connac et Aguado.
-Les individus pris au hasard dans le recensement de 1851 n'ont à priori pas de liens de parenté avec mes propres ancêtres quoique la généalogie réserve parfois de drôles de surprises.
-Je ne suis pas expert de l'urbanisme carcassonnais mais je suis certain que la rue Saint-Michel et la rue Voltaire sont un seul et même endroit.
-Joseph et Jean Bac ont tous deux été carillonneurs et vivaient dans la rue Saint-Michel. Il me paraît donc logique et fortement probable qu'ils aient fait sonner les cloches de la cathédrale Saint-Michel.
-Comme pour l'article précédent sur Dieppe, je me suis permis de recadrer certains plans. Je leur ai également ajouté quelques modifications qui font office de repères en lien avec les explications de mon article.
-Pour plus d'informations sur le projet de recensement des anecdotes, je vous invite à me contacter.

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