dimanche 1 avril 2018

Histoires de chocolat

A l'approche de Pâques et fidèle à mon penchant héréditaire pour le pêché de gourmandise, je me suis mis en tête d'écrire un article consacré à quelque chose que nous aimons -presque- tous : le chocolat. Il n'était bien sûr pas question de dévier des deux thèmes prédominants de ce journal, qui sont l'histoire et la généalogie. Aussi ai-je décidé d'enquêter sur le rôle du chocolat dans le quotidien de mes ancêtres, sachant qu'aucun d'entre eux n'a travaillé dans le domaine de la chocolaterie.

L'idée m'est venue il y a quelques jours en feuilletant les pages de la presse ancienne, notamment celles concernant la période du Second Empire. Cette semaine a été riche en découvertes généalogiques fort intéressantes qui pourraient faire l'objet d'articles dans les prochains mois. Les objectifs que je m'étais fixés pour la fin de ce mois sont atteints : parutions du second chapitre de la chronique consacrée aux ancêtres de Juliette Troche ainsi que d'articles intermédiaires qui vous ont apparemment plu, surtout celui consacré aux prénoms grecs orthodoxes de mes ancêtres gersois. Seuls les relevés des recensements sont un peu à la traîne, mais j'ai pas mal de temps libre pour m'atteler à cette tâche fastidieuse. 


Chocolat Meunier frères - Ateliers Hugo d'Alési - 1894 - BNF (Gallica) - LIEN
  
L'industrie chocolatière

Le chocolat, longtemps réservé aux plus fortunés et à la Cour, se diffuse dans les autres couches de société au cours de la Révolution industrielle. Toute une industrie européenne se crée autour de cette marchandise, notamment en Espagne, en France, en Suisse et en Allemagne. C'est à cette époque qu'apparaissent peu à peu les grands noms du chocolat tels que van Houten, Lindt ou encore Poulain. La première chocolaterie française voit le jour dans les Pyrénées Orientales en 1814. Cet essor de l'industrie chocolatière favorise la concurrence entre les différents confiseurs qui rivalisent de créativité pour proposer toujours plus de nouveautés. Entre 1820 et 1830, le chocolat, qui se consommait majoritairement sous forme de boisson en raison de la rareté des moulins permettant sa fabrication en dur, connaît une transformation majeure : van Houten réussit, par un ingénieux procédé, à le changer en cette fameuse poudre que nous utilisons encore. Au même moment, des confiseurs créent un peu partout en Europe le chocolat noir et aux noisettes. Le français Antoine Brutus Menier invente la tablette de chocolat quelques années plus tard, du moins son concept, que les anglais récupéreront et diffuseront par la suite. A la fin des années 1840, le chocolat se démocratise réellement si je puis dire, comme en témoignent les publicités de plus en plus fréquentes dans les annonces de la presse de cette époque.

Chocolats - Compagnie française - Théophile Alexandre Steinlen -1895 - BNF (Gallica) - LIEN

Un remède miraculeux

Il est intéressant de noter que les premières chocolateries françaises sont apparues dans le Sud, notamment à Bayonne. Cela s'explique par la présence de juifs séfarades chassés d'Espagne. Au XVIIIe siècle, nombreux étaient ceux qui prêtaient au breuvage chocolaté d'innombrables vertus thérapeutiques. Contrairement à ce qui peut parfois être raconté, cette réputation de remède miraculeux a perduré bien au-delà de l'Ancien Régime. Il n'est pas rare de tomber, en explorant la quatrième page du journal quotidien de Rouen - celle dédiée aux annonces publicitaires - sur une petite case encadrée où des docteurs, pharmaciens et autres savants plus ou moins accrédités conseillent à la population de manger du chocolat.
 
Extrait du journal de Rouen - Dépot de chocolat et bougie - 16 février 1855 - Archives de la Seine-Maritime - LIEN

Transcription : "Depuis huit ans que le dépositaire des meilleurs chocolats de Paris vend en détail au prix du gros cet aliment si bienfaisant à la poitrine, sa clientèle a pris un développement extraordinaire. Les amateurs de bon chocolat, qui ne connaissent pas encore cette maison, peuvent donc, en toute sûreté, s'adresser au susdit dépôt, où ils obtiendront à 1 franc 20 au lieu de 1 franc 60, le chocolat de santé, à 1 franc 50, le chocolat de santé fin, avec ou sans vanille et sans aucune falsification qui se vend ailleurs 2 francs, et le santé supérieur à 2 francs au lieu de 2 francs 50 le demi-kilog. [...]" Il existait bel et bien un commerce du chocolat en tant que remède aux effets multiples et parfois miraculeux. Je me suis alors demandé quel pouvait être la signification de l'appellation "chocolat de santé". Le chimiste et pharmacien ébroïcien - habitant d'Evreux - Pierre-Hyppolyte Boutigny (1798-1884) a écrit dès 1825 un ouvrage dédié au chocolat, offrant des définitions remarquables par leur précision. Il s'agit du moins de mon avis personnel. En voici quelques-unes :

  • chocolat anti-phlogistique : "[...] Ce chocolat convient particulièrement aux convalescents et aux personnes qui ont eu des maladies inflammatoires : il n'est point stimulant comme la plupart des autres chocolats. [...]"
  • chocolat à l'extrait de café : "[...] Ce chocolat est un aliment aussi agréable que facile à digérer, ce qui le rend précieux aux personnes délicates dont l'estomac demande à être légèrement stimulé. [...]"
  • sirop de cacao : "[...] Ce sirop a les propriétés du chocolat de santé aromatisé, mais il est plus commode pour les personnes qui ont beaucoup d'occupation, et pour les voyageurs. Trois cuillerées de ce sirop, délayées dans une tasse de lait ou d'eau bouillante, font sur-le-champ une tasse de bon chocolat. [...]"

Ces définitions proviennent de l'ouvrage Du chocolat, de sa fabrication, des moyens de reconnaître sa falsification, et de ses propriétés alimentaires et médicales de Pierre-Hyppolyte Boutigny consultable sur le site de la BNF à ce lien. Vous l'aurez compris, le chocolat, s'il est parfois décrié de nos jours - tout est décrié de nos jours -, faisait autrefois office de remède miraculeux et délicieux, à tel point que nombre de médecins et de spécialistes le recommandaient pour l'alimentation des plus jeunes. Dans certains hôpitaux pour enfants, la distribution de chocolat aurait même été quotidienne. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez toujours lire les prescriptions du docteur Camille Piron en cliquant ici.


Chocolate Amatller - Oficinas Calle Manresa, 10, Barcelona - BNF (Gallica) - LIEN

Le chocolat était visiblement considéré comme un produit aux bénéfices à la fois gustatifs et thérapeutiques. Mais une question perdure : quel était son prix ? De ce que j'ai pu lire, les tarifs du kilogramme de chocolat pouvaient être variables selon le chocolatier ou la marque. J'ai décidé de me baser sur ce que certains de mes ancêtres ont très probablement dû connaître à partir des annonces des journaux les plus consultés. J'ai choisi trois annonces du journal de Rouen pour me faciliter la tâche. En moyenne, d'après ces annonces, le prix du demi-kilogramme de chocolat pouvait varier de 1 franc 20 centimes à 4 francs. La boisson était moins coûteuse et il était possible de déjeuner quatre fois pour la somme de 30 centimes. Je ne dispose pas de beaucoup d'informations qui pourraient me permettre d'estimer le salaire de mes ancêtres, si ce n'est ce que j'ai pu tirer des contrats de mariage et de mes lectures personnelles. Au regard des éléments dont j'ai eu connaissance, je pense que le demi-kilogramme de chocolat était tout à fait abordable, hormis peut-être le "santé fin avec vanille" qui coûtait plus cher. Quant aux petits-déjeuners proposés par la maison A. Lhernault, ils me semblent très accessibles.


Annonces provenant du journal de Rouen - Second Empire - LIEN

La rédaction de cet article m'a donné envie de dévorer une tonne de chocolats. Je ne suis en général pas un gros mangeur mais il y a quelques exceptions, notamment pour les pâtisseries, confiseries, chocolats, pâtes de fruits... Je vais en rêver cette nuit à force d'en parler. J'en profite pour pousser un coup gueule quant à l'abandon du savoir-faire de la magnifique et traditionnelle gastronomie française au profit des immondices industrielles que l'on trouve actuellement en rayon. Il est de plus en plus difficile de trouver une vraie chocolaterie ou pâtisserie proposant la qualité d'antan, même dans les quartiers huppés des grandes villes. Ne parlons pas des confiseries qui sont littéralement en voie de disparition. Les fast-food, en revanche, il y en a à chaque coin de rue... Finissons cet article avec une série de photographies et d'affiches remémorant l'époque des chocolateries, pâtisseries et confiseries à chaque coin de rue.


Chocolat de la Compagnie lyonnaise S. Richon - 1836 - BNF (Gallica) - LIEN

Chocolate español Jules Chéret - 1878 - BNF (Gallica) - LIEN

Chocolat Poulain-Orange - Leonetto Cappiello - 1911 - BNF (Gallica) - LIEN

Manufacture franco-russe, Chocolat de l'Univers - 1900 - BNF (Gallica) - LIEN

Chocolaterie-Confiserie Augé - Eugène Atget - 1900 - BNF (Gallica) - LIEN


Les documents exposés dans cet article proviennent en majorité du génialissime site de la BNF - Bibliothèque nationale de France - nommé Gallica et appartiennent au domaine public.

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