dimanche 15 avril 2018

L'Ariège et ses trésors d'archives : le compoix de Bélesta

Trois de mes ancêtres sont nées à Bélesta, village perdu aux confins de l'Ariège, de l'Aude et aux pieds des Pyrénées. Les archives ariégeoises, à l'image du paysage régional, regorgent de trésors cachés permettant de mieux comprendre l'histoire de la population, essentiellement paysanne et fortement attachée à ses croyances, qui vécut des siècles durant au milieu des sombres forêts que seules les cimes des Pyrénées, marquant la frontière avec l'Espagne, dépassent.
  
J'ignore s'il s'agit d'une malédiction, mais le temps n'est une nouvelle fois pas clément en ce week-end d'avril. Espérons que soleil revienne d'ici peu, car cela fait six mois qu'il n'a presque pas éclairé le ciel de sa lumière. Et puisque mon université est encore bloquée - s'agirait-il de la même malédiction ? -, j'ai été fort heureux de découvrir, ces derniers jours, quelques trésors numérisés par les archives de l'Ariège. Même si la famille de mon grand-père maternel est essentiellement audoise avec des racines ibériques, méditerranéennes, catalanes et possiblement provençales, trois des ancêtres de Marie-Vincentine Bonnet, la grand-mère de ma mère, sont natives de Bélesta, village perdu, comme je vous le racontais, entre les sombres forêts et les imposantes montagnes du comté de Foix. 

Marie-Vincentine Bonnet, mon arrière grand-mère - Tableau réalisé par ma mère
L'introduction de l'ouvrage dédié aux comtes de Foix et à leur généalogie permet de se faire une idée assez claire des limites de l'ancien comté auquel appartenait Bélesta. Même si le texte est relativement bien écrit, il est peut-être assez petit et je préfère le retranscrire : "Les villes principales de ce comté sont Foix, siège du sénéchal de la province, Pamiers, évêché, Mazères, Tarascon, Saverdun, Vicdessos, Bélesta et Mas-d'Azil." Historiquement, ces terres étaient l'apanage des comtes de Carcassonne dont sont issus ceux de Foix. Jeanne d'Albret en hérita en 1543 et son fils Henri IV les réunit au royaume de France. J'ai commencé à lire un manuscrit consacré à l'histoire du pays de Foix, d'où j'ai tiré ces quelques informations, ainsi que le déchiffrage et la compréhension, assez difficiles quoique possibles, des Chroniques des comtes de Foix, en date de 1458, rédigées à partir d'écrits de "langue vulgaire", mêlant castillan et catalan.

1 : Généalogie des comtes de Foix, extrait, page 4 - AD de l'Ariège ; 2 : Carte de Cassini avec Bélesta, Montferrier et Lavelanet
Les descriptions du comté de Foix offertes par chacun des ouvrages paraissent similaires les unes aux autres. En voici une qui provient du manuscrit dont je vous ai déjà parlé : "[...] ce pays était tout couvert de bois, les habitants sans moeurs et sans polices, quoiqu'en possession de la vraie religion, sont appelés communément les Miquelels des Pirénées ; hommes dangereux en effet par la situation du pays, l'éloignement du souverain et le voisinage de l'Espagne qui n'en est qu'à deux pas [...]" Le portrait dressé des ariégeois par les chroniqueurs et les historiens est certes peu flatteur, mais je doute cependant de sa totale véracité, même s'il peut y avoir un fond de vérité dans ces descriptions. Un élément me semble sûr, de par ce que j'ai pu entendre et ce que l'on m'a raconté : les habitants de ces vallées et forêts montagneuses étaient rustres et superstitieux. Mais ne s'agirait-il pas là d'un trait de caractère commun à la majorité des peuples d'autrefois ?

Brevet terrier et cabaliste - 1727 - Bélesta - Archives en ligne de l'Ariège

D'autres documents fort utiles pour mieux appréhender le cadre de vie des ariégeois sont consultables en ligne grâce au remarquable travail de numérisation effectué par les Archives de l'Ariège qu'on ne peut que remercier. Prenons par exemple les compoix qui sont en réalité une variante peut-être moins complète des cadastres. Autrement dit, on y trouve généralement un état des propriétés et des parcelles, parfois plus. Le mot compoix, aussi écrit compoids, est spécifique à la "langue occitane" - expression qui ne me plait guère car extrêmement généraliste - et ces documents existent ainsi pour  les régions du Sud. Trois des ancêtres de mon arrière-grand-mère étaient, rappelons-le, natives de Bélesta, à savoir :
  • Marie Lagarde (1851-1886), épouse Bonnet, sa grand-mère paternelle ;
  • Rose Naudy ou Naudi (1841-1929), épouse Faure, sa grand-mère maternelle ;
  • Magdeleine Boulbes (1808-1865), épouse Bonnet, son arrière-grand-mère.
Ce compoix, qui compte deux cent dix-neuf pages, a été réalisé en 1727 et ne mentionne que les hommes adultes. Un répertoire caché dans les dernières pages indique le folio - numéro d'ordre - correspondant à chaque individu recensé avec ses biens. Enthousiaste à l'idée d'en apprendre plus, j'ai répertorié, sur une dizaine de générations, tous les ancêtres de mon arrière-grand-mère qui vivaient à Bélesta en 1727 et qui étaient donc susceptibles d'apparaître dans ces listes. A ma grande surprise, sur les cinq-cents ancêtres - environ - que j'ai pris en compte pour cette recherche, seuls une quinzaine d'entre-eux sont originaires de Bélesta, soit 5 à 8% de l'ascendance de Marie-Vincentine Bonnet. Cela confirme un constat que j'avais déjà pressenti auparavant : la famille de mon grand-père maternel est majoritairement audoise d'origine. Outre ces considérations départementales, j'ai donc dressé la liste de mes ancêtres domiciliés à Bélesta en 1727 que voici :
  • Pierre Audoui ou Audouy et Jeanne Lagarde ;
  • Jean Baillard ou Baylhard fils et Marie Grauby ;
  • Jean Baillard ou Baylhard père et Marguerite Marcerou ;
  • Jean Cassagnaud ou Cassaigneau et Anne Picareil ;
  • Pierre Chaumont et Marie-Rose Vernhes ou Vergnès ;
  • Guillaume Conte ou Conté et Magdeleine Vaquier ;
  • Jordy Courset et Magdeleine Canal ;
  • Pierre Grauby et Guilhemette Moulis ;
  • Guilhem ou Guillaume Lagarde et Marie Lapasset ;
  • Jean Lagarde et Jeanne Grauby ;
  • Pierre Lagarde et Blanche Farineau ;
  • Pierre Etienne Lagarde et Jeanne Fauché ;
  • François Lapasset et Marguerite Grauby ;
  • Guillaume Razeyre et Cécile Carbonneau ;
  • Pierre Séguy et Magdeleine Boulbes.

Cependant, un nouvel obstacle auquel je n'avais pas pensé survient alors que je lisais le répertoire. Je vous laisse constater.

Brevet terrier et cabaliste - Page 216 - 1727 - Bélesta - Archives en ligne de l'Ariège
Ils portent tous plus ou moins les mêmes noms, prénoms et peuvent ou non appartenir à la même famille. Ne serait-ce que dans cet extrait de liste, on dénombre trois Pierre Lagarde, trois Guillaume ou Guilhem Lagarde et trois Jean Lagarde, sans compter Jeannet... Pourquoi diable les habitants de ce coin ne se désignaient-ils que par d'étranges surnoms ? Cela me complique sérieusement la tâche. Ceux de mes ancêtres qui vécurent dans d'autres régions portaient plusieurs prénoms - Charles Marc-Antoine ou Elisabeth Rose Marie-Catherine par exemple - ainsi que des noms peu communs ; ici, ce n'est malheureusement pas le cas et il faut retrouver le bon Jean ou Pierre Lagarde. Je vous épargne le fastidieux travail de relecture des actes paroissiaux et notariés qu'il a fallu mener à bien pour parvenir à identifier de manière sûre chacun des ancêtres. J'ai ainsi pu retrouver les folios correspondant à ces cinq ancêtres :
  • Jean Baillard ou Baylhard père, alias Mangetout ;
  • Jean Cassagnaud ou Cassaigneau, alias Raffel ;
  • Guillaume ou Guilhem Conte ou Conté ;
  • Guilhem Lagarde, alias Farineau ;
  • François Lapasset.
Le contenu de ce compoix, quoique quelque peu rébarbatif, offre des informations intéressantes que je vais résumer par la suite.


Extraits du compoix de 1727 - Bélesta - Archives en ligne de l'Ariège

Une lecture plus approfondie de ces compoix dont j'ai affiché quelques extraits ci-dessus m'a permis d'en apprendre davantage sur les biens, les conditions de vie, les professions et l'entourage de mes ancêtres. Jean Baillard, Jean Cassagnaud, Guillaume Conte, Guilhem Lagarde et François Lapasset possédaient chacun leur propre maison. Certains l'ont achetée alors que d'autres l'avait reçue totalement ou partiellement en héritage. Jean Cassagnaud était également propriétaire d'un hermitage - terme désignant alors une maison de campagne isolée - à Rieufourcant, ainsi que de divers champs "à la bene" et à la taillade, un pré "al bac del Milhassa", la moitié d'un champ "al pla de nada". Ces indications sont précieuses pour une étude toponymique de la commune. La ressemblance avec l'espagnol est frappante. 

Parfois même, on y trouve quelques renseignements directement généalogiques : le grand-père de Guilhem Lagarde était ainsi surnommé Jon del Gelat. Pour l'anecdote, Jon, qui est un prénom basque, se prononce, si je ne m'abuse, "Iôn". Du moins, c'est ainsi que j'ai souvent entendu les espagnols le prononcer. Il y en a encore pas mal dans les régions basques d'Espagne et personnellement, je trouve que c'est un joli prénom. Jon del Gelat a légué un huitième de son bien à son petit-fils. Cela laisse entendre qu'il y avait huit héritiers à son décès ou à la rédaction de son testament, en partant du principe d'une répartition égale bien sûr. Il s'agit par ailleurs d'un élément important pour mieux appréhender les dynamiques sociales et économiques de ces familles que leur nombre élevé d'enfants semblait appauvrir au fur et à mesure des générations, d'où peut-être une explication aux fréquents mariages entre cousins à Bélesta et ses voisines.

Un élément intéressant, que je ne m'attendais pas à découvrir ici, est l'énumération et la quantification des animaux de chaque individu, du moins des animaux servant directement aux tâches agricoles ou vendus. François Lapasset avait des mulets, des bourriques, des chevaux, une dizaine de brebis ; Guilhem Lagarde une jument qu'il garda de nombreuses années, ainsi que des vaches, ect. Ces animaux étaient indispensables au travail quotidien dans les champs, à l'apport de nourriture pour la famille, au transport, au commerce. Même les ancêtres qui étaient marchands ou artisans possédaient eux-aussi quelques animaux. Dans certains cas, ces pauvres bêtes servaient de monnaie d'échange pour régler des successions et même des dettes, preuve d'une société essentiellement agricole. Je doute fort, connaissant les moeurs locales, dont mon grand-père avait hérité, que ces animaux aient été bien traités. Il y a fort à parier que même s'il n'y en a point mention, mes ancêtres devaient avoir des chiens.

Enfin, l'utilité généalogique de ces documents est double : les dates d'achat des maisons, lorsqu'elles n'ont pas été reçues par le biais des héritages familiaux, permettent d'aiguiller les recherches dans les minutes notariales. Il est d'autre part possible de reconstituer les relations sociales entre certains ancêtres : François Lapasset et Jean Cassagnaud se connaissaient et ont conclu une vente ensemble. Guilhem Lagarde était le gendre de François Lapasset puisqu'il avait épousé sa fille, Marie. Anne Conte, la petite-fille de François Conte, épousa un Lagarde, également nommé Guilhem. L'arrière-petite-fille de Jean Baillard, Marie Chaumont, épousa elle aussi un Lagarde. Tous sont les ancêtres de Paul Bonnet et de Louise Faure, les grands-parents maternels de mon grand-père.

Finissons cet article avec des dessins symbolisant pour moi l'Ariège, une terre de légende entre montagnes majestueuses et cascades enchanteresses, où se cachent châteaux, mines d'or, grottes et légendes de toutes sortes...

Le rocher et la ville de Foix - Dessin à la mine de plomb - Antoine-Ignace Melling - Bibliothèque de Toulouse (Rosalis)

Fontaine de Fontestorbes - près de Bélesta - Dessin à la mine de plomb - Antoine-Ignace Melling - Bibliothèque de Toulouse (Rosalis)

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