Chers lecteurs, j'espère que vous avez traversé sans trop de soucis ces longues et éreintantes semaines d'épidémie et de confinement, qui représentent aussi une opportunité de saisir le cours de l'Histoire dans ce qu'il peut avoir de plus tumultueux. J'ai notamment une pensée pour ceux de mes abonnés Twitter qui ont été touchés par le virus. Je l'ai moi même très probablement eu et m'en suis par chance bien remis. Quelques jours à peine avant que ne soit instauré le confinement, et après être rentré du Portugal - qui est un pays tout à fait charmant, étonnant, où l'omniprésence de l'Atlantique contraste avec l'Espagne plus aride à laquelle je suis habitué - je me suis rendu aux Archives de l'Aude afin d'en apprendre davantage sur les ancêtres méridionaux de mon grand-père maternel. Il est de ces histoires familiales qui, se transmettant au gré des générations successives, s'apparentent au fil des années plus à une légende qu'à des faits réels. Bien souvent, l'origine même de cette histoire, de ce récit ancestral, dont il ne subsiste que quelques mots, est depuis longtemps retombée dans les limbes de l'oubli ; seule perdure une vague certitude, qu'un aïeul répète à ses descendants. C'est ainsi que peu avant ma naissance, mon arrière grande-tante Jeanne Bourrel (1907-1999) - soeur de mon arrière grand-père Pierre Antoine Bourrel (1899-1982) - raconta à ma mère, sa petite-nièce, lors d'une promenade au château de Chalabre, que les Bourrel étaient apparentés aux seigneurs locaux. Mon grand-père a lui-même toujours dit que sa famille était originaire de Chalabre et de ses environs, et gardait envers la région du Kercorb un attachement particulier. Pour autant, ma mère était restée plutôt sceptique, n'ayant pas de réelles preuves de ce lien de parenté, bien que sachant pertinemment que nos familles étaient là depuis des siècles. Le nom Bourrel est d'ailleurs emblématique de l'Aude, on en retrouve des traces au Moyen-Âge. Nous n'avions pas davantage enquêté sur la véracité de ce lien de parenté, jusqu'à ce printemps, où les recherches que j'ai menées sur une ancêtre maternelle des Bourrel, Marie-Anne Bastide (1748-1810), ont montré que le récit de tante Jeanne était loin d'être une légende.
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Photographie du château de Chalabre prise par ma mère |
Certaines branches de l'arbre généalogique sont parfois plus aisées à remonter que d'autres, nécessitent des recherches considérables et tel est le cas des Bastide. Au XVIIIe siècle, Chalabre, capitale historique du Kercorb, est une petite ville marchande, prospère, située aux confins méridionaux du Languedoc, à la croisée des paysages pyrénéens et méditerranéens. Loin d'être un village renfermé, Chalabre attire entre ses murs médiévaux sillonnés par trois rivières de nombreux marchands, plus particulièrement des drapiers, la draperie étant, et ce bien avant l'apparition des industries du XIXe siècle, au coeur même de la vie économique du Kercorb. Mon ancêtre Françoise Bonet, dite Françoise Moïze, naît au cours de l'été 1780, fille de Moïze Bonet et de Marie-Anne Bastide, sa soeur Jeanne deux ans plus tôt. Je n'avais jusqu'alors retrouvé aucune trace du mariage de leurs parents dans les registres paroissiaux de Chalabre, ni même de Marie-Anne Bastide, ce qui pour être honnête s'avérait, à la longue, quelque peu frustrant. Une seule et unique indication semblait pouvoir orienter mes recherches : les deux soeurs Bonet avait un même parrain, Pierre Bastide, issu d'une famille de maîtres-pareurs de draps installée à Lavelanet. L'ambigüité entre les professions de maître-pareur et de marchand est notable, d'aucuns avancent que nombre de pareurs de draps, puisqu'ils devaient préparer les draps à la commercialisation, jouaient aussi le rôle de marchands. Un doute compromettait cependant mon hypothèse : deux Pierre Bastide vivaient au même moment à Chalabre, et n'étaient pas apparentés. Mes ancêtres, descendants de Moïze Bonet et de Marie-Anne Bastide, ayant été par la suite et pour la plupart chapeliers et cordonniers à Chalabre jusqu'à la fin du XIXe siècle - à la fois artisans et marchands - la piste des pareurs de draps me semblait être la plus probable, d'autant qu'en janvier 1771 Pierre Bastide, veuf de Suzanne Caujole, s'était remarié à Chalabre avec Paule Cambon. Je vous cite l'extrait de l'acte en question : "Les trois bans du futur mariage d'entre le sieur Pierre Bastide pareur de draps veuf de Suzanne Caujole fils légitime du sieur Jean Pierre Bastide aussi pareur de draps et de demoiselle Marie Foüet mariés de Lavelanet [...]". Il me paraissait évident, compte tenu du fait qu'il ne semblait pas exister de preuves concrètes de la présence de Marie-Anne Bastide à Chalabre avant la fin des années 1770, et que d'après son acte de décès elle devait être née au milieu de la décennie 1740, que c'était bel et bien vers Lavelanet, ville de grande importance pour le commerce des draps, qu'il fallait désormais se diriger. Une sorte de cliché plutôt répandu, quelques fois même dans le milieu universitaire, voudrait nous faire croire que sous l'Ancien Régime les gens ne se déplaçaient pour ainsi dire pas, ne sortaient que très rarement de leur village isolé. A mon humble avis, et au regard de ce que la généalogie et la lecture des registres paroissiaux de diverses régions m'ont appris, de nombreuses familles notamment marchandes se déplaçaient de villes en villes pour leurs activités, alternant parfois entre plusieurs endroits.
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Mariage de Moïze Bonet et de Marie-Anne Bastide - 1777 - Lavelanet |
J'accorde une importance toute particulière à l'intuition, qui plus que la méthodologie m'a souvent permis de retrouver certains ancêtres et de débloquer des ascendances que les registres ne semblaient révéler qu'avec lenteur et parcimonie. Lavelanet, qui existait apparemment avant l'arrivée des Romains et de laquelle Caracalla aurait fait venir des draps jusqu'à Rome, est la capitale du pays d'Olmes. Surplombée par les Pyrénées, son climat est bien plus froid et rigoureux que celui de Chalabre dont elle n'est pourtant distante que d'une vingtaine de kilomètres. Je pris pour point de départ de mes recherches la date du baptême de Jeanne Bonet, survenu en août 1778, pour remonter de manière antéchronologique les registres et retrouver le mariage qui me faisait jusqu'alors défaut. Et ce fut par chance d'une heureuse simplicité puisque ce mariage a eu lieu le 10 février 1777. Une trouvaille d'apparence banale qui nécessita tout de même quelques années de recherches ; personne n'avait d'ailleurs fait le lien entre Lavelanet et les drapiers Bastide présents à Chalabre. Cet acte confirme ma première hypothèse selon laquelle Marie-Anne Bastide est la fille de Jean Pierre Bastide et de Marie Foüet, comme l'atteste l'extrait suivant : "L'an mille sept-cent-soixante-dix-sept et le dixième jour de février, les bans de mariage entre Moyse Bonet [...] de la paroisse de Chalabre âgé d'environ vingt-cinq ans d'une part et Marie-Anne Bastide fille légitime de feu Jean Pierre et de Marie Foüet mariés de cette paroisse, âgée d'environ vingt-quatre ans [...]" Une autre preuve est apportée par les registres de l'insinuation de Chalabre - simple formalité transcrivant l'objet d'une donation ou d'un contrat de mariage, mais fort utile pour mettre la main sur des références d'actes notariés au XVIIIe siècle - auxquels j'ai pu accéder et qui nous renseignent sur les clauses du contrat de mariage. Marie-Anne Bastide fut plutôt bien dotée par ses oncles, et ce mariage a sans doute été profitable à Moïze Bonet, qualifié de maître-cordonnier. Je n'ai pas tardé à retrouver les décès de Jean Pierre Bastide et de Marie Foüet, datés respectivement du 24 janvier 1776 et du 1er décembre 1780 - les hivers étaient alors bien plus meurtriers que les étés - ainsi que l'acte de baptême de Marie-Anne Bastide en juin 1748. Une première certitude était ainsi établie, mais les recherches qui allaient suivre me réservaient quelques difficultés. Pour une raison qui m'est inconnue, et que je peine à m'expliquer d'ailleurs, les registres de Lavelanet concernant la période 1680-1737 ne sont pas présents sur le site des Archives de l'Ariège bien qu'ils existent. Une absence de registres sur plusieurs décennies est un obstacle des plus sérieux pour quiconque cherche ses ancêtres entre le XVIIIe et le XVIIe siècle, d'autant plus lorsque cette recherche est antéchronologique - en remontant littéralement le temps. - J'ai d'abord dû me contenter d'hypothèses, de comparaisons et de croisements.
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Signature de Jean Pierre Bastide - Registres paroissiaux de Lavelanet |
Mes lecteurs les plus fidèles s'en sont sûrement aperçus, j'ai une certaine affection pour les signatures de mes ancêtres qui peuvent, pour les périodes antérieures au XIXe siècle et outre leur caractère éminemment personnel, être d'un grand secours et pallier les agaçantes lacunes des registres. La lecture approfondie des sept-cent-vingt-sept pages du seul registre qui couvre le XVIIIe siècle lavelanétien accessible sur le site des Archives m'a permis d'amasser plusieurs éléments susceptibles de me dévoiler l'ascendance des Bastide. La difficulté tient également aux homonymies et aux alternances de prénoms qui ont tendance à prévaloir dans la famille Bastide. Mon ancêtre Jean Pierre Bastide s'est souvent fait appeler Pierre, il semble qu'il n'ait rajouté "Jean" que pour se différencier de son propre fils Pierre, mais cela n'est pas certain ; et chaque génération compte son lot de Pierre, de Rose et de Paule Bastide. Hasard ou non, deux des soeurs de mon grand-père maternel portaient encore ces prénoms, une soeur de mon arrière-grand-père Pierre Bourrel se nommait aussi Paule. Ces prénoms ont-ils été inconsciemment ou volontairement transmis ? L'oncle ou la tante étant souvent parrain ou marraine, il n'est pas rare d'ainsi retrouver une Rose Bastide tante d'une Rose Bastide elle-même marraine d'une autre Rose Bastide, de quoi donner lieu à quelques imbroglios généalogiques. Quoi qu'il en soit, la signature de Jean Pierre Bastide est suffisamment particulière et remarquable par le signe qui la conclue pour que je puisse reconnaître mon ancêtre. Son épouse, Marie Foüet, a semble-t-il eu l'intelligence de signer, à partir des années 1750, en écrivant à la fois son nom et son prénom. Lire l'ensemble des actes, y compris ceux n'étant liés aux Bastide que de manière implicite, m'a permis d'apprendre que Jean Pierre Bastide avait été procureur à une certaine époque, et qu'il aurait peut-être joué le rôle d'une sorte de garant ou de prêteur d'argent, en plus de son activité dans la draperie. Des renseignements lus sur Geneanet tendent à renforcer cette hypothèse.
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Vue des Pyrénées ariégeoises depuis l'Aude - photographie prise par ma mère |
Sa présence au mariage de sa soeur Paule Bastide avec François Fonquernie en mai 1754 revêt un grand intérêt en ce que l'acte précise la filiation des Bastide. Jean Pierre Bastide serait le fils de Guillaume Bastide et Jeanne (de) Nègre - l'orthographe varie -, tous deux vivants au milieu des années 1750. A peine quelques mois après ce mariage, Jeanne (de) Nègre, assistant à l'ondoiement d'un nouveau-né, est qualifiée de sage-femme. Guillaume Bastide, qui exerçait la même profession que son fils, trépassa en 1757, âgé d'environ quatre-vingts ans. Je n'avais alors toujours pas accès aux registres manquants pour les trois premières décennies du XVIIIe siècle, lacune assez ennuyante puisque le mariage entre Jean Pierre Bastide et Marie Foüet avait eu lieu, selon l'arbre généalogique en ligne d'un lointain cousin descendant lui aussi des Bastide, en 1735. Ce cousin, que je remercie d'ailleurs chaleureusement, a eu la gentillesse de m'envoyer le contrat de mariage de Jean Pierre Bastide et de Marie Foüet en date du 3 mars 1735, dont voici l'extrait le plus intéressant : "L'an mille sept-cent-trente-cinq, et le troisième jour du mois de mars, l'après-midi [...] furent présents en leurs personnes Jean Pierre Bastide pareur de draps fils légitime et naturel de Guilhaume Bastide aussi pareur de draps habitant du dit Lavelanet et de Jeanne Nègre d'une part, et Marie Foüet habitante du dit lieu, fille légitime de feus Jean Foüet tailleur d'habits et Marie Martín [...]" Sans plus rentrer dans les détails concernant l'ascendance maternelle des Bastide, je me contenterai pour le moment de préciser que Marie Martín, fille de Philippe Martín, avocat et consul de Lavelanet, descend par sa mère des Correjon, une très ancienne famille chalabroise dont j'aurai tout le loisir de vous parler cet été. Petite-fille de Vincent de Correjon, les recherches concernant ses ancêtres m'ont mené jusqu'aux épaisses archives du Parlement de Toulouse.
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Décès de Félicien de Nègre - 1er juin 1700 - Prades, Pyrénées-Orientales, AD11, 66J |
Ayant ainsi la confirmation que Jean Pierre Bastide était bien le fils de Guilhaume Bastide et de Jeanne Nègre, de Nègre ou Negré - choisissez la variante que vous préférez, pour ma part seule Negré me déplaît car Nègre est l'orthographe d'origine -, le chemin du XVIIe siècle s'ouvrait désormais et s'annonçait fructueux. Jean Pierre Bastide, mort à l'âge de soixante-cinq ans en 1776, devait être né vers 1711 ; sa soeur Paule vers 1726, et leur père, mort en 1757, vers l'an 1677. De telles estimations laissaient à supposer que Jeanne de Nègre était plus jeune que son mari, et que le mariage avait sûrement eu lieu au plus tôt en 1700. En adhérant à l'EGMT - Entraide Généalogique du Midi Toulousain - idée qui me trottait déjà dans la tête depuis quelque temps, j'ai pu accéder aux registres manquants du site des Archives de l'Ariège. Entre-temps, l'acte de mariage de Guilhaume Bastide et de Jeanne de Nègre m'avait déjà été transmis. Daté du 16 février 1711, il n'y est fait aucunement mention des parents des époux, mais les paroisses dont ils sont originaires sont fort heureusement précisées. J'apprends ainsi que Jeanne de Nègre - qui s'appelait bien de Nègre - est native de Belcaire, village perché aux confins montagneux de l'Aude et de l'Ariège. L'un des témoins de ce mariage, Lazare Martín, n'est autre que le frère de mon ancêtre Marie Martín ; j'en déduis que toutes ces familles se connaissaient déjà. Je quittais Lavelanet pour revenir dans la Haute-Vallée de l'Aude, avec le secret espoir de mettre la main sur un contrat de mariage m'indiquant les parents respectifs des époux, ce qui, car j'ai été plutôt chanceux lors de ces recherches, fut le cas. Ayant accédé à cet acte grâce aux relevés de l'EGMT, je ne suis pas sûr qu'il me soit possible de diffuser l'image ici. A défaut, en voici les références précises : liasses notariales de Me François Fourié, notaire à Belcaire de 1699 à 1740, minutes de la période 1705-1714, côte 3E6769 - oui, le classement des archives prend parfois des airs de KGB...- trois cent cinquante-cinquième page, janvier 1711. L'importance de cet acte est décisive puisque la filiation des époux y est attestée : Guilhaume Bastide est le fils de Jean-Pierre Bastide et de Marie Arnaud, maîtres-pareurs de draps de Lavelanet, Jeanne de Nègre celle du défunt Félicien de Nègre, issu d'une famille de la noblesse audoise, et de Paule Cazal, qui la suivit à Lavelanet. Si j'ai pris le soin de récupérer dans les registres paroissiaux de Belcaire quelques actes supplémentaires, j'ai aussi et surtout puisé l'ensemble de mes informations dans le fonds d'archives 66J des archives de l'Aude, consacré à la famille de Nègre et à ses ancêtres, et qui a fait l'objet d'un travail de classification et de répertorisation par le personnel des Archives. En réalité, me doutant bien avant d'accéder au contrat de mariage de 1711 que Jeanne de Nègre était issue de la famille du même nom, je me suis rendu aux archives de l'Aude peu de temps avant le confinement. Avec ma mère, que je remercie pour son aide dans la photographie des documents des archives, nous avons ainsi eu la joie de découvrir à Carcassonne d'innombrables documents dont certains extrêmement anciens concernant nos ancêtres. Nous devons avoir deux ou trois-cent pages photographiées, dont certaines qu'il me faut encore trier, livrant chacune de précieux renseignements sur cette famille qui, de ce que j'ai pu lire çà et là, descendrait à l'origine d'espagnols ayant pris part à la Reconquista au XIe siècle, installés par la suite au Pays de Sault. Il furent propriétaires du château des Nègre d'Able, dont les ruines existent encore à Belvis, et se virent confier la protection et le gouvernement militaire du bailliage royal de Sault, longtemps dernière frontière entre les royaumes de France et d'Espagne. L'ascendance de Félicien de Nègre n'a pas été difficile à reconstituer à partir des documents retrouvés dans la série consacrée aux Archives, d'autant que l'inventaire de cette série comprend déjà la trame essentielle pour établir son arbre généalogique. J'ai tout de même souhaité vérifier une à une ces informations, pour obtenir la filiation suivante : Félicien de Nègre, plus connu sous le nom de Sieur de la Serre, était l'un des fils de Jean de Nègre et de Madeleine de Couderc, le petit-fils de Pierre de Nègre et de Raymonde de Germa, l'arrière petit-fils de Pierre de Nègre et d'Angeline de Gayraud, et l'arrière-arrière petit-fils d'Antoine Ier dit Thonet de Nègre et de Jeanne de Lévis, issue d'une branche de la noble et très ancienne maison de Lévis ; cela explique à coup sûr le lien de parenté que mon arrière grande-tante Jeanne Bourrel a mentionné à ma mère.
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Pierre Antoine Bourrel, arrière-grand-père maternel |
La
véracité de ce récit, même s'il fut raconté sous la forme d'une
anecdote lors d'une promenade, pose naturellement la question de la
transmission généalogique : que nos ancêtres connaissaient-ils de leurs
propres ancêtres, et de quelle manière la transmission d'un certain souvenir a pu être possible sur plusieurs générations ? Mon arrière grand-père maternel Pierre Bourrel (1899-1982), sa soeur Jeanne (1907-1999) et leurs huit autres frères et soeurs - Alfred, Joséphine, Lucienne, Marc, Hortense, Marie-Louise, Paule et le dernier, Jean-Baptiste, qui a vécu jusqu'en 2012 ; ils étaient dix enfants dans cette famille, et c'est là le record de mon arbre généalogique - descendent des Bastide, des Nègre et de Jeanne de Lévis par leur mère Marie Vassal (1876-1956), dont la mère Françoise Roussel (1847-1929), était l'unique fille de Vincent Roussel (1818-1905), lui-même fils de Françoise Bonet (1780-1836) et par conséquent petit-fils de Marie-Anne Bastide (1748-1810), qui est, si vous avez suivi le fil de cet article, la petite-fille de Jeanne de Nègre. Cette liste filiative, certes un peu rébarbative, permet d'entreprendre une analyse des chaînes de transmission des souvenirs familiaux. L'élément central est pour moi Vincent Roussel. Né en 1818, il est le petit-fils de Marie-Anne Bastide qui a connu sa propre grand-mère Jeanne de Nègre ; certains de ses grandes-oncles étaient encore en vie dans les premières décennies du XIXe siècle. En vivant lui-même jusqu'en 1905, il eut sûrement la possibilité de transmettre à sa fille, à sa petite-fille et même à certains de ses arrière petits-enfants ce qu'il savait de l'histoire familiale. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un hasard. Il y a, dans la famille de mon grand-père maternel, une transmission partielle, presque inconsciente mais bel et bien existante d'un certain souvenir du passé, que ça soit par l'intermédiaire de traditions, de superstitions, de proximité avec certains lieux, de relations amicales ou conflictuelles avec certaines familles. S'il y a bien quelque chose que mon grand-père a conservé de ses ancêtres, c'est avant tout le sentiment d'être de Chalabre et de sa région même si des apports extérieurs et ibériques sont intervenus, et sans pour autant connaître le détail de sa généalogie. J'avance cette hypothèse car elle me semble la plus probable, après-tout, en me racontant une multitude d'anecdotes sur les familles chalabroises, mon grand-père m'a à sa façon transmis une connaissance particulière de la généalogie du Kercorb, région aussi appelée Terre privilégiée.
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Le château de Chalabre photographié par ma mère |
Se pose enfin la question du rapport à une généalogie directe qui remonte au Moyen-Âge et aux familles qui ont fondé la bastide de Chalabre. J'observe, non sans amusement, pas mal de gens s'enorgueillir d'avoir tel ou tel ancêtre, et je conçois tout à fait que chacun ait son propre rapport à la question. Les titres et distinctions qu'ont pu avoir certains ancêtres m'intéressent bien peu, le fait même d'avoir des ancêtres nobles à une certaine époque ne me semble en rien exceptionnel - d'autant que j'en ai également trouvé dans mes ancêtres paternels. - En revanche, la perspective de pouvoir remonter mon arbre généalogique jusqu'au Moyen-Âge, de confirmer que les Bourrel sont des descendants directs de familles qui ont pris part à l'Histoire, à une échelle locale ou plus large, d'ainsi découvrir de très anciens documents dont de magnifiques parchemins, de réaliser, lorsque je me promène dans les ruines des châteaux surplombant les montagnes de la région, que certains de mes ancêtres y vécurent un jour et que le lointain souvenir du lien avec ces ancêtres a quelque peu survécu aux siècles pour arriver jusqu'à nous me semble en tout point fascinante. Bien plus que leurs titres, c'est selon moi leur ancienneté historique et généalogique qui donne tout leur intérêt aux ascendances nobles. Vous l'aurez constaté, cet article est empreint d'une certaine rigueur parfois rébarbative, un peu comme une démonstration ; une rigueur qui me semblait importante car comme je compte consacrer d'autres articles aux familles présentées ici et aux nombreux documents les concernant, il me semblait nécessaire d'en préciser la structure, les liens de parenté et surtout les recherches qui m'ont permis de remonter les générations, pour, à partir d'une simple phrase racontée par mon arrière-grande-tante, retrouver une partie de l'histoire de la famille de mon grand-père maternel. J'ai réalisé ces recherches au cours des quatre derniers mois en plusieurs phases simultanées dont j'ai essayé de vous retracer l'essentiel ici. Ces recherches ont été longues et laborieuses, ont fait appel à des sources aussi diverses que nombreuses - registres paroissiaux, actes notariés, administratifs, articles, ouvrages, inventaires, relevés d'associations, documents d'archives rares et partage d'informations avec de lointains cousins - aussi il aurait été bien trop long, ennuyant et inutile de les détailler pas-à-pas. Pour être plus clair, j'ai mené cette enquête un peu comme un puzzle dont la dernière pièce manquante, à laquelle j'ai eu accès il y a peu, était ce fameux contrat de mariage entre Guilhaume Bastide et Jeanne de Nègre. A mesure que les pièces s'emboîtaient les unes dans les autres, le résultat final semblait évident. Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont facilité à leur manière ces recherches : ma mère, qui m'a notamment aidé à photographier les documents parfois très fragiles aux Archives, le personnel des Archives de l'Aude dont les conseils sur le maniement de documents très anciens ont été d'une grande utilité, mon lointain cousin descendant des Bastide qui a partagé avec moi des informations et m'a fait gagner un temps considérable, ainsi que les membres de l'EGMT qui m'ont permis de consulter des documents absents des archives en ligne, et sans oublier mon arrière grande-tante Jeanne, qui par une simple anecdote racontée au hasard d'une promenade nous a inconsciemment transmis le souvenir d'un lien très ancien avec nos ancêtres. J'ignore le nombre de descendants des familles citées dans cet article ; je sais qu'il y en a pas mal des Bourrel et des Vassal dans l'Aude ; il me semble que les Bastide ont eu des descendants dans la région puis en Algérie, quant à la famille de Nègre je sais qu'elle s'est divisée en plusieurs branches. Cet article fait office d'introduction à tous ceux, plus libres, qui concerneront les Bastide, la famille de Nègre et ses ancêtres, les Correjon et alliés. Je peux fournir l'ensemble des documents prouvant la filiation entre Marie-Anne Bastide et la famille de Nègre jusqu'à Antoine Ier de Nègre et Jeanne de Lévis, à l'exception de documents provenant de relevés faits par des associations que, si mes souvenirs sont bons, je n'ai pas le droit de diffuser. Je réserve par ailleurs mes informations aux personnes descendant des familles citées dans l'article. Nous sommes le 1er juin, soit trois-cent-vingt ans jour pour jour, et c'est un hasard, après le décès de Félicien de Nègre - voir l'extrait d'acte un peu plus haut dans l'article, qui, se trouvant dans les archives de la famille de Nègre, m'a épargné les registres écrits en catalan -. Mon anniversaire est demain et compte tenu du contexte il ne m'est hélas pas possible de voyager comme l'an dernier, mais j'espère y remédier dès que cela sera possible. Et puis, si vous voulez mon avis, la généalogie est une passion idéale pour survivre au confinement. A bientôt !
Tes articles sont toujours aussi passionnants Wilfried, c'est un régal ! En plus ils nous font voyager, ce qui n'est pas de refus en ce moment.
RépondreSupprimerMerci beaucoup !
SupprimerOui la généalogie est une excellente manière de s'évader à travers les siècles et les régions
Impressionnantes recherches, belle passion que de remonter le temps, bravo Wilfried
RépondreSupprimerMerci !
SupprimerUn grand bravo Wilfried pour ce travail et ton article toujours si bien rédigé ! La question se pose effectivement sur la transmission de cette anecdote qui remonte tout de même à quelques siècles. Je suis persuadé que ces histoires ou légendes familiales possèdent un fond de vérité. Au généalogiste d'en retrouver l'origine !
RépondreSupprimerMerci beaucoup !
SupprimerLa généalogie semble effectivement confirmer ces légendes familiales qui par chance se transmettent parfois, cela rend les recherches d'autant plus passionnantes